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préjugés » ou « S’attaquer aux préjugés ? » Vaugelas prétend que le second est plus élégant que le premier ; et je crois qu’il a raison ; j’en suis même sûr. Mais ce qu’il y a d’intéressant dans sa Remarque, et ce que ni l’Académie, ni Thomas Corneille ne semblent y avoir aperçu, c’est toute une théorie du « gallicisme » qui s’y dessine, et, à cet égard, tous les termes en doivent être pesés.

Et en effet, un « gallicisme, » un « latinisme, » un « hellénisme, » sont précisément ce que dit Vaugelas : des façons de parler tout ensemble très grecques, très latines, très françaises, — et « très étranges. » Il suffit, pour le bien voir, d’essayer de tourner le gallicisme en latin ou le latinisme en français. On s’aperçoit alors « qu’ils n’ont point de sens, » à moins qu’ils ne semblent « en avoir un tout contraire à celui qu’ils expriment. » Les étymologistes en sont surpris, et les grammairiens, les grammairiens logiciens, ceux de l’école de Condillac et de Dumarsais, en demeurent confondus ! C’est que ces sortes d’expressions « ne veulent pas être épluchées, » — Vaugelas ici joint l’exemple au précepte, — et ni la logique, ni l’histoire même n’en rendent compte. Elles sont parce qu’elles sont, et quand on l’a constaté, c’est à peu près tout ce qu’on en peut dire. Mais « bien loin d’être moins bonnes, elles en sont beaucoup plus excellentes, » — admirons ce superlatif ! — et surtout elles en sont plus françaises. Car, n’ayant pas d’équivalens et ne pouvant être rendues en aucune langue « au pied de la lettre, » elles sont du fond, ou, en un certain sens, le fond de la langue française, et en elles et par elles s’exprime, si l’on pouvait user de ce gros mot, qui n’est point de la langue de Vaugelas, la « mentalité » nationale.

Elles sont telles que, si l’on en voulait faire « l’anatomie, » selon que « les mots sonnent, » — remarquez en passant le peu de souci que Vaugelas prend de « suivre » ses métaphores, — on n’en tirerait rien qu’incohérence et contradiction. Ce n’en sont pas moins celles, il y revient encore dans une autre Remarque, « qui sont ordinairement les plus belles et qui ont le plus de grâce. » Ne nous privons donc pas d’en user. Quintilien disait : Aliud est latine, aliud est grammatice loqui. Vaugelas reprend à son compte le mot de Quintilien. Nous ne parlons jamais mieux qu’en usant de ces expressions qui nous appartiennent en propre, qu’on ne « démarque » point, dont on oserait presque dire