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le voulait, il y aurait de quoi parler longtemps. Malherbe invoquait, nous dit-on, en matière d’usage, l’autorité des « crocheteurs du Port au Foin ; » et il faut d’ailleurs avouer que nous ne nous en douterions guère à lire ses Odes, ni même ses Lettres. Les « crocheteurs du Port au Foin » font-ils vraiment l’usage ? et, en ce cas, pourquoi n’écrivait-il pas, lui, Malherbe, une Estatue ou un Collidor ? Si l’usage est par hasard, — et c’est un hasard fréquent, — contradictoire à l’étymologie, à la logique, et au bon sens, devrons-nous pourtant nous y conformer ? et, supposé que tout le monde prît le parti d’écrire désormais : Agir dans un but ou Embrasser une carrière, ces expressions en deviendront-elles pour cela d’une meilleure langue ? Qui sera encore juge de l’usage ? et chacun de nous ne reconnaîtra-t-il finalement que le sien ? Car l’usage de l’un n’est pas celui de l’autre, et jusque dans une Académie « notre usage » dépend de notre origine, de notre éducation première, de l’objet de nos études, du monde où nous avons fréquenté. L’usage de Marseille n’est pas non plus celui de Lille, et celui des auteurs dramatiques n’est pas toujours l’usage des historiens ou des philologues. Quelle part enfin faudra-t-il faire à l’argot dans l’usage, je ne dis pas bien entendu l’argot des voleurs et des filles, mais celui des professions ? et s’il est courant, dans les ateliers, pour parler d’une toile ou d’une statuette exécutées sans étude, préparation ni modèle, de dire « qu’elles sont faites de chic, » donnerons-nous à cette locution, qui ne veut rien dire au fond, droit de cité dans la langue ? On ne nous apprend donc rien, ou peu de chose, quand on dit de l’usage qu’il est le « maître des langues, » et il ne reste après cela qu’à définir l’usage lui-même. C’est ce que Vaugelas a essayé de faire, et, comme, en général, on n’a retenu des caractères qu’il assigne à l’usage que le plus apparent, je voudrais aujourd’hui chercher dans ses Remarques s’il n’y en a peut-être pas d’autres, et de plus importans à mettre en lumière.

Par exemple, et en premier lieu, l’usage, aux yeux de Vaugelas, doit être « national » et j’entends par là que ses Remarques ne tiennent ni ne veulent ordinairement tenir compte de la tradition grecque et latine, ou de l’influence de l’espagnol et de l’italien. Français, nous avons notre langue à nous, qui, sans doute, n’est pas tout ce qu’elle pourrait être, et d’autres langues ont d’autres qualités, mais enfin dont le génie n’est qu’à elle ;