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VAUGELAS
ET
LA THEORIE DE L’USAGE

C’est une fortune assez singulière, et on pourrait dire presque unique en son genre, que celle de Vaugelas. Nous n’avons de lui qu’un livre de Remarques sur la langue française et une traduction de Quinte-Curce ; on ne les lit ni l’un ni l’autre ; et cependant il n’y a guère, dans toute notre histoire littéraire, de nom plus connu que le sien, ni d’œuvre dont on se fasse en somme une plus juste idée. Le doit-il peut-être à Molière, qui l’a malicieusement niché dans un coin de ses Femmes savantes ? Que de Français, même instruits, ne connaissent Alexis de Tocqueville que par les plaisanteries du Monde où l’on s’ennuie ! Mais il le doit surtout à ce que son nom de Vaugelas est, si je l’ose dire, à peine un nom d’homme, et plutôt un symbole, ou, — si peut-être on trouvait ce mot de symbole bien poétique pour un grammairien, — l’expression abrégée, le résumé de tout ce qu’ont tenté, entre 1610 et 1650, pour épurer, pour perfectionner, pour fixer notre langue, Malherbe en vers, Balzac dans ses Lettres ou dans ses Entretiens, les Précieuses dans la société aristocratique, et Richelieu lui-même par l’institution de l’Académie française.

Il y, a joint cet autre mérite, — car c’en est toujours un, — de paraître en son temps. Ses Remarques sont datées de 1647. L’époque est précisément celle d’une transformation profonde, ou, si l’on le veut, d’une modification essentielle de la langue