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de t’assurer auprès de nous la vie facile que d’autres parens ont le bonheur d’offrir à leurs filles. Au lieu des loisirs que tu avais bien le droit d’attendre en récompense de tes belles études, il va falloir, par ton travail, te créer des ressources que j’ai le regret de n’avoir pas su te conserver.

Des larmes lui étaient montées aux yeux en me parlant ainsi, pour la première fois, comme à une égale. J’en fus attendrie et surtout flattée. Après tout, j’en avais assez d’être une fillette qui n’eût d’autre tâche que d’apprendre des leçons, et je n’étais pas fâchée d’être traitée en grande personne à qui incombent des devoirs sérieux.

— N’est-ce que cela ? mère, dis-je avec une gaîté toute vaillante ; mais je suis prête à utiliser mes petits talens et à donner enfin des leçons aux autres. Tu verras les progrès que j’ai faits à l’aquarelle, il me sera très facile de…

Un geste m’arrêta, il s’agissait de bien autre chose.

Parmi les élèves de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, on choisit quelques privilégiées à qui sont réservées des positions de professeurs ; elles conservent une chambre, touchent des appointemens modestes, ont une existence assurée d’élèves vieillissantes dans une sécurité médiocre, avec des congés, une retraite. Il paraît que beaucoup de femmes recherchent ces places d’employées, car on ne les accorde qu’à la protection. Mon mérite m’avait valu d’être désignée pour un de ces emplois de faveur, et on avait chargé maman de m’en transmettre la flatteuse proposition.

Pour le coup, j’eus un soubresaut de révolte.

On voulait m’enfermer pour toujours, moi qui n’aspirais qu’à la liberté ! Ah ! non, par exemple. J’acceptais volontiers l’obligation du travail, mais mêlée à la vie, avec des risques à courir, de la douleur s’il le fallait, mais des chances de bonheur aussi. Je saurais me résigner à ma tâche, mais à condition qu’on ne me reléguât pas hors de l’humanité dans un asile de repos, avant même que j’eusse essayé de vivre. De quoi aurais-je pu être lasse, quand je m’éveillais à peine au bord des choses entrevues ? Il faut laisser les sinécures à celles qu’un tout petit foyer anime, les secousses pourraient l’éteindre… Mais moi ! Allons donc ! Renoncer à quoi que ce fût, qu’on me connaissait mal ! Avais-je donc si bien réussi à cacher mes chères espérances ?… Un trop-plein de larmes, toujours prêtes dans l’émotion à déborder, et