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que le monde ne forme qu’une nation, qui est la sienne, le cosmopolitisme n’est plus qu’un patriotisme agrandi. Aussi cet homme grave perd-il toute mesure quand il parle de ceux qui, comme les Juifs, travaillent à introduire un élément de discorde dans cette grande unité. Il prend alors un ton de colère et de dépit qui n’est pas celui qui convient à l’historien. On dirait qu’il ne peut pas trouver de termes assez violens pour les accuser ; il force les expressions, il accumule les griefs, sans prendre la peine de les justifier[1]. Mais est-il besoin d’aucune justification, puisqu’ils sont les ennemis du genre humain ? `

Sa haine pour les chrétiens a la même origine. Il ne les confond pas tout à fait avec les Juifs, puisqu’il les désigne par un nom particulier, qu’il connaît l’auteur de la secte, qu’il nous dit l’époque précise où elle a commencé d’exister[2]. Mais il sait « que ce fléau est sorti de la Judée, » et cela lui suffit pour les condamner. Aussi voyons-nous reparaître les mêmes expressions violentes, démesurées, qu’il a prodiguées contre les Juifs Execrabilis superstitio. ― Per flagitia invisos. ― Sontes et novissima exempta meritos. Remarquons encore ici qu’aucune preuve n’est donnée de toutes ces accusations, on ne nous dit ni quels sont ces forfaits qui les ont rendus exécrables, ni ce qui leur a mérité les dernières rigueurs. Un seul de ces crimes est indiqué avec quelque précision il les accuse de haïr le genre humain, odium generis humani, c’est le reproche qu’il avait déjà fait aux Juifs adversum omnes alios hostile odium, et il ne l’adresse aux chrétiens que parce qu’ils sont Juifs d’origine et par conséquent hostiles à toutes les religions de l’univers. Ils avaient donc cette mauvaise fortune, quand ils refusaient de participer à un sacrifice, de mettre tout le monde à la fois contre eux. Tandis que les dévots les accusaient d’insulter les dieux, les patriotes de renier le culte national, les lettrés, qui auraient dû leur être plus indulgens, ne leur pardonnaient pas de compromettre l’accord qui s’était fait entre les diverses nations et, dans la même

  1. Genus invisum diis. ― Instituta sinistra, fæda. ― Projecta ad libidinem gens. ― Mas absurdus sordidusque. ― Despectissima pars servientium. ― Deterrima gens, etc.
  2. On répète que, pendant très longtemps, les Romains ont confondu les chrétiens et les juifs. Cependant la police impériale les distinguait déjà à l’époque de Néron, car c’est bien comme chrétiens et non comme juifs qu’ils ont été poursuivis. Suétone aussi dit en propres termes que c’est une superstition nouvelle Christiani, genus hominum superstitionis novæ ac malefidæ.