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d’Isis et de la Mère des dieux, et cette propagande était parfaitement tolérée mais c’était à une condition à laquelle les Juifs ne voulaient pas se soumettre.

Les Romains avaient l’habitude, toutes les fois qu’ils rencontraient à l’étranger un dieu qu’ils ne connaissaient pas, d’en chercher un, chez eux, qui parût lui ressembler et de donner le nom de l’ancienne divinité à la nouvelle. C’était une façon de faire croire qu’entre les diverses religions, il n’y avait pas de différences essentielles. Quand on connut celle des Juifs, on essaya de lui appliquer la même méthode. Quelques personnes, à cause du repos du samedi, eurent l’idée d’assimiler leur dieu à Saturne, à qui le samedi était consacré ; d’autres, qui voyaient qu’on adorait Jéhovah au bruit de la flûte et du tambour, pensèrent que c’était Liber ou Bacchus. Mais, devant l’attitude des Juifs, il fallut renoncer à ces assimilations on vit bien qu’ils refusaient de les accepter, ou même qu’ils s’indignaient qu’on osât les faire. Isis ou Mithra permettaient à leurs dévots d’honorer Jupiter ou Minerve Jéhovah était un Dieu jaloux, qui ne voulait être associé à aucun autre. Celui qui s’enrôlait parmi ses adorateurs ne pouvait adorer que lui. La situation, dès lors, devenait grave. Les cités antiques étant surtout unies dans la pratique du même culte, quand on renonçait à ce culte, on cessait d’être citoyen. Voilà le grand reproche que Tacite adresse à ceux qui se font Juifs. « Le premier principe qu’on leur inculque, dit-il, c’est de mépriser les dieux de leur pays, c’est-à-dire d’abjurer leur patrie, de ne plus tenir aucun compte de leurs parens, de leurs enfans, de leurs frères. » Pour un patriote comme lui, il n’y a pas de crime plus grave. Ajoutons que la conduite des Juifs, dans les villes où ils s’établissent, semble justifier ce reproche. Ils y forment des communautés étroitement fermées, ils tiennent à vivre seuls. Pour éviter la contagion des infidèles, ils habitent à part, ils mangent ensemble, ils se marient entre eux. Or, partout, la populace est ombrageuse ; quand on s’isole d’elle, quand on la fuit avec obstination, elle croit qu’on la dédaigne, qu’on la condamne, et soupçonne qu’on veut lui nuire ; elle se méfie et s’irrite. De là ces explosions de colère féroce, qui amenèrent, dans les grandes villes de l’Asie, tant d’effroyables massacres.

Il semble que les lettrés auraient dû être plus tolérans ou moins injustes que le peuple ; mais eux aussi avaient des raisons d’en vouloir aux Juifs, et leur haine était d’autant plus profonde