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service signalé il leur offrait le moyen de remplir leur devoir de citoyen et de ne pas donner pourtant un démenti trop violent à leurs opinions philosophiques. C’est ce qui a permis à Cicéron d’être augure sans étonner personne et à Tacite de faire partie du collège des Quindecimviri sacris faciundis, et de présider, en cette qualité, aux jeux séculaires de Domitien.

Malgré tout, il a dû arriver plus d’une fois que le citoyen et le philosophe ne se soient pas bien entendus ensemble. Les compromis imaginés par les stoïciens pour concilier les contraires n’ont pas toujours étouffé chez les honnêtes gens les révoltes de leur conscience ou de leur raison en présence de ces légendes immorales ou de ces superstitions ridicules. C’est ce qui est visible chez quelques-uns d’entre eux, surtout à propos des présages, des oracles, de ce qu’on appelait la divination. Presque tout le monde y croyait alors, et l’autorité peut-être plus que tout le monde, puisqu’elle en avait peur et punissait des peines les plus rigoureuses ceux qui consultaient les devins ; mais ces malheureux y croyaient encore davantage, puisque ni l’exil, ni la prison, ni la mort, n’ont pu les empêcher de les consulter. Nous voyons ici encore les stoïciens venir au secours des croyances populaires. Avec une complaisance inépuisable, ils ont trouvé des argumens très spécieux pour légitimer la divination, pour établir que c’était une science véritable, qui avait ses principes et sa méthode et qui méritait la même confiance que les autres.

Qu’en pense Tacite ? il n’est pas aisé de le savoir. Une fois, il semble résolu à nous révéler le fond de sa pensée ; il pose très nettement le problème et se demande « si les choses humaines sont régies par des lois éternelles ou si elles roulent au gré du hasard. » Mais il recule devant une solution précise, et, en réalité, il ne conclut pas. Il se contente de nous dire que « la plupart des hommes ne peuvent renoncer à l’idée que le sort de chaque mortel est fixé au moment de sa naissance, » ce qui est la justification de l’astrologie, et, comme il en a l’habitude, il paraît très porté à suivre l’avis « de la plupart des hommes. » Il fait, à la vérité, quelques réserves, car il a peur de paraître crédule et craint d’être dupé. Les devins se trompent quelquefois faut-il s’en étonner ? « l’erreur est si près de la science ; » ils mentent souvent « c’est une race d’hommes qui fait profession de trahir les puissans et d’abuser de la crédulité des ambitieux ; » mais, souvent aussi, ils disent la vérité ; n’ont-ils pas prédit à Tibère,