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par suite, que l’on puisse apporter les preuves d’une conquête de facto complète et incontestée. Nous allons faire voir tout à l’heure qu’ici les preuves font défaut.

Les conditions nécessaires pour établir définitivement une souveraineté nouvelle sur un territoire envahi, et la faire reconnaître par des tiers comme acquise selon le droit de conquête, peuvent encore être assimilées à celles que doivent réunir des insurgés qui désirent faire reconnaître leur pouvoir nouveau, leur autorité nouvelle. Or, en 1824, durant l’insurrection des provinces sud-américaines contre l’Espagne, lord Liverpool, répondant à une interpellation sur les droits des insurgés à être reconnus comme pouvoir définitif, et exprimant non seulement sa propre opinion, mais aussi celle de M. Canning, de lord Lansdowne et de sir J. Mackintosch, ne se faisait point faute de déclarer, en ce qui concernait le conflit entre l’Espagne et les provinces sud-américaines, qu’il n’y avait pas de droit acquis, parce que la contestation était encore ouverte. La question doit être, en effet : « Le conflit est-il terminé ? » Quant à lui, il ne pouvait prendre sur lui de faire une démarche quelconque, tant que la lutte à main armée restait indécise.

Eh bien ! il est hors de doute qu’en Afrique, à l’heure qu’il est, on se trouve en pleine « lutte à main armée ; » que « le conflit n’est pas terminé ; » que « la contestation est encore ouverte ; » et nous en fournirons la démonstration en son lieu. Mais nous tenons à faire remarquer tout de suite qu’il n’est pas un État d’Europe ni d’Amérique qui ait présentement reconnu les droits de l’Angleterre sur les territoires prétendus annexés.


IV

Voyons maintenant ce que disent sur la question les différens auteurs qui ont traité de cette matière ou de quelque sujet semblable.

Heffter, avant de parler des modes de finir la guerre, pose en règle générale que, tant que l’une des puissances n’est pas définitivement vaincue et tant qu’elle peut reprendre les armes, l’état de choses existant à son égard doit être considéré seulement comme transitoire ou usurpé[1].

  1. Heffter, Le Droit international public de l’Europe, traduit par Bergson, 1857, p. 346.