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la vérité l’a emporté ; il ne les a pas jugés autrement que Suétone et que Tacite ; et même, comme sa touche est quelquefois plus rude, je ne sais si, chez lui, Tibère n’est pas encore plus odieux que chez les autres. Dans tous les cas, il n’est pas possible de rien tirer de son ouvrage qui puisse servir à réhabiliter les princes qu’ils ont condamnés.

On nous dit, je le sais, que nous n’avons conservé que les historiens hostiles aux Césars. Comme presque tous ces princes ont péri de mort violente (ce qui, par parenthèse, ne prouve pas qu’on les ait beaucoup aimés), dans la réaction qui a suivi leur mort, on a eu soin de détruire ou de cacher les écrits qui leur étaient favorables, et leurs successeurs, qui étaient leurs ennemis, ne leur ont pas permis de reparaître ; en sorte que c’est le parti victorieux qui seul a gardé la parole. Cette réflexion est juste, et il faut en tenir compte. N’oublions pas pourtant que les réactions, quelque violentes qu’elles soient, ne durent pas toujours. Avec le temps, les passions se calment, les haines s’apaisent. Le vainqueur perd peu à peu sa popularité des premiers jours, et l’on revient à une appréciation plus équitable de ce qui existait avant lui. Si ce passé avait mérité quelque estime, s’il n’était pas tout à fait aussi noir qu’il était de mode de le représenter, soyons sûrs que les mécontens, ― il y en a toujours après quelques années de règne, ― n’auraient pas manqué d’en réveiller le souvenir. Les ouvrages proscrits seraient sortis de leur ombre ; on en aurait retrouvé des exemplaires cachés, et, s’ils avaient été dignes de survivre, nous les aurions probablement conservés.

C’est ainsi que nous possédons encore les poésies que Stace et Martial ont composées en l’honneur de Domitien, ― l’agrément de leurs vers en a fait pardonner le sujet ; ― et il est fort heureux qu’elles n’aient pas disparu, car elles nous donnent une idée de ce qu’était cette littérature de cour et des mensonges qu’elle pouvait se permettre. Personne ne s’est jamais avisé d’aller chercher la vérité chez Martial ou chez Stace. L’énormité même de leurs flatteries en montre la fausseté ; sans compter qu’un des deux poètes a vécu assez pour reconnaître de bonne grâce qu’elles manquaient absolument de sincérité, et qu’il a fini par comparer à Néron le même prince qu’il avait mis au-dessus de Jupiter. Nous ne pouvons pas avoir plus de confiance dans le témoignage de Velleius Paterculus, quoiqu’il ne fût pas un