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il n’en avait guère[1]. Il paraît admirer très franchement Auguste, il célèbre ses institutions, il n’a aucun parti pris contre ses successeurs. Ce n’est pas un moraliste austère comme Tacite, et l’on ne trouve pas chez lui les mêmes accens d’indignation, quand il raconte les mêmes crimes ; il est plus calme, plus maître de lui. On sent que c’est un de ces hommes que le spectacle du monde et de la vie amuse, qui le regarde avec plaisir et cherche des raisons de s’y intéresser. Il n’a donc pas de motif d’altérer la vérité et doit voir les choses comme elles sont. Entre ses récits et ceux de Tacite on a relevé quelques légères différences ; on en a conclu qu’ils n’ont pas puisé aux mêmes sources et qu’ils travaillaient indépendamment l’un de l’autre, ce qui donne plus de prix aux ressemblances qu’on trouve entre eux. L’impression que laissent leurs ouvrages, à la considérer dans l’ensemble, est la même, et ils ont en somme porté le même jugement sur les Césars le Tibère de Suétone est aussi odieux que celui de Tacite, Claude n’est pas moins sot chez l’un que chez l’autre, ni Néron moins scélérat.

Nous avons encore moins de raisons de nous défier de Dion que de Suétone. C’était un Grec de naissance, que les souvenirs de l’ancienne république devaient laisser tout à fait indifférent. Loin de la regretter, il affirme que Rome était perdue, si elle avait continué à vivre sous le régime ancien, et que c’est la monarchie qui l’a sauvée. Comme il devait tout à l’Empire, son double consulat et le gouvernement de l’Afrique, il éprouvait pour lui les sentimens d’un parfait fonctionnaire il ne pouvait souffrir ceux qu’il soupçonnait d’avoir de mauvais desseins contre le gouvernement qu’il servait. Il est très dur pour Sénèque, pour Helvidius Priscus, et en général pour les philosophes, qui lui paraissaient insolens, tracassiers, ennemis des puissances établies, « comme si c’était l’œuvre d’un sage d’insulter ceux qui exercent le pouvoir, de semer le trouble dans les foules, et d’ébranler ce qui existe pour introduire des nouveautés. » On peut donc être sûr qu’il abordait l’histoire des Césars avec la pensée de ne pas leur être contraire. Et cependant, malgré tout,

  1. La seule fois qu’il paraît avoir exprimé une opinion politique, c’est dans ce dassage de la Vie de César où, après l’avoir comblé d’éloges, il trouve qu’on avait le droit de le tuer. Mais nous savons que Tite-Live lui-même, l’ami d’Auguste, se demandait si ce n’était pas un malheur que César eût existé. Ces sortes de regrets platoniques de l’ancien gouvernement ne tiraient pas à conséquence. On les retrouve même chez Velleius Paterculus, le flatteur de Tibère.