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d’assez bonne grâce la supériorité de Tacite, il devait lui être désagréable que la distance entre eux devînt trop grande. Aussi lui échappe-t-il de dire qu’après tout, l’histoire est un genre facile et que, « de quelque façon qu’on l’écrive, on est sûr de plaire au public. » Mais ce dépit, s’il a existé, ne dura guère. Pline, dans la suite, accepta de revoir les œuvres de son ami, qui corrigeait les siennes, et leur amitié resta jusqu’à la fin sans nuage.

Tout paraît donc établir que les ouvrages de Tacite furent très favorablement accueillis par ses contemporains, c’est-à-dire par les gens qui étaient le plus en position de connaître la vérité. S’il en est ainsi, c’est apparemment qu’ils ne les trouvaient pas en contradiction formelle avec leurs souvenirs, et qu’en général, dans ses récits et ses jugemens, il reproduisait à peu près l’impression du plus grand nombre. Voilà une première raison d’avoir confiance en lui.


III


Poussons les recherches plus loin. Voyons s’il est d’accord aussi avec les historiens postérieurs. Nous n’avons guère, pour le premier siècle de l’empire, de Tibère à Trajan, que deux historiens de quelque importance, Suétone et Dion Cassius[1]. Ils sont très différens l’un de l’autre, et aucun d’eux ne s’est trouvé tout à fait dans la même situation que Tacite. Suétone a servi l’empire, mais dans des conditions particulières. Tandis que les consuls, les généraux, les sénateurs, tous ceux qui remplissaient des fonctions publiques, pouvaient dire qu’ils étaient les serviteurs de l’État plus que de l’empereur, lui, a été attaché à la personne même du prince en qualité de secrétaire. Il n’appartenait pas non plus par la naissance à la classe qui avait le plus de raisons de regretter le régime ancien, parce qu’elle y tenait un rang plus élevé. Jusqu’au jour où des circonstances que nous ignorons lui donnèrent accès au cabinet d’Hadrien, il fut surtout un homme d’étude (scholasticus), un fureteur de bibliothèques, à la recherche des petits détails et des curiosités de tout genre. Il n’a nulle part exposé ses vues politiques c’est que probablement

  1. Je laisse de côté Plutarque, dont il ne nous reste que ce qui concerne Galba, Othon et Vitellius, qui à eux trois n’ont cas régné un an.