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donc que plus tard, quand il aura fini de corriger et de publier ses anciens discours, il se tournera vers l’histoire, et prie même Capito de lui trouver un sujet qu’il pourra traiter.

Que s’est-il donc passé qui puisse expliquer cette lettre ? D’où vient cet engoûment subit pour une science dont il n’avait jamais été question jusque-là ? Comment se fait-il que, de divers côtés, au même moment, on paraisse s’entendre pour engager Pline à déserter pour elle l’éloquence, dont on sait qu’il est uniquement occupé ? À cette question tout le monde a fait la même réponse. Évidemment il a dû se produire alors quelque ouvrage historique, dont le succès étourdissant a jeté le trouble dans la littérature, fait craindre aux auteurs qui possédaient la renommée de la perdre et donné l’idée à ceux qui voulaient la conquérir d’imiter l’œuvre nouvelle : Si cette hypothèse est la vraie, il est naturel de supposer que c’est l’apparition des premiers livres des Histoires qui a pu seule exciter une pareille émotion. Il n’y a rien, dans Tacite, qui soit plus dramatique, plus saisissant, et, quand on lit aujourd’hui les merveilleux récits de la mort de Galba, d’Othon, de Vitellius, on n’a pas de peine à comprendre l’admiration mêlée de surprise qu’ils causèrent à ceux qui les ont connus pour la première fois.

À partir de l’année 98, où parurent l’Agricola et la Germanie, Tacite a dû s’occuper des Histoires, auxquelles il songeait depuis la mort de Domitien. Il travaillait beaucoup toutes ses œuvres ; Pline le dit, et on s’en aperçoit en les lisant. Nous pouvons être sûrs qu’il ne fit connaître les premiers livres de son grand ouvrage[1] que quand il crut qu’il n’y restait plus rien à faire. Il y mit le temps, puisque, entre l’apparition de l’Agricola et la lettre de Pline dont nous venons de parler, sept ans s’étaient écoulés. De quelle manière l’ouvrage s’est-il produit devant le public ? quoique personne ne l’ait dit, il est bien probable que ce fut dans les lectures publiques. Elles étaient fort à la mode, depuis Auguste avant de livrer un ouvrage au libraire pour qu’il le fît copier et le répandit, on le lisait à ses amis, à ses connaissances, devant un cercle de lettrés convoqués pour l’entendre. C’était une façon de tâter l’opinion et, en l’absence de toute autre publicité, d’attirer l’attention sur lui. Beaucoup n’y cherchaient qu’une satisfaction

  1. Les lettres de Pline montrent que, les Histoires furent publiées successivement et par fragmens, à mesure que chaque partie était achevée. Voyez l’étude deM. Mommsen sur Pline le Jeune.