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celle où Tacite est malmené. Il voudrait bien nous persuader « que c’est en tremblant qu’il ose le contredire ; » mais n’en croyons rien ; Linguet est friand de scandale, et nous pouvons être sûrs qu’il le contredit sans aucune espèce de crainte ou de remords. Sa malveillance pour lui se montre tout d’abord aux motifs qu’il donne de sa sévérité. Il ne se contente pas de prétendre que c’était un de ces esprits chagrins « qui ne voient, dans le monde, que des vertus feintes ou des vices déguisés » ce reproche n’est pas sans quelque apparence, et l’on verra qu’il est de ceux qu’on a repris de nos jours. Mais, par une contradiction singulière, en même temps qu’il en fait un pessimiste hargneux, il veut le représenter comme un bas complaisant, qui quête les bonnes grâces des princes. « Les satiriques les plus outrés, dit-il, sont souvent les flatteurs les plus adroits. Qui peut assurer que le censeur implacable de Tibère n’a pas voulu faire servir à sa fortune auprès des successeurs de Domitien le mal qu’il disait des successeurs d’Auguste ? » Il est donc possible que ces colères vertueuses, qui lui ont fait tant d’admirateurs, cachent un calcul d’intérêt personnel. Dans tous les cas, Linguet affirme qu’elles sont tout à fait injustes, et il prétend le prouver par quelques exemples. Est-il croyable, nous dit-il, que Tibère, qui avait mené jusque-là une vie à peu près irréprochable, ait attendu d’être vieux pour se plonger dans les plaisirs les plus dégoûtans ? « La raison crie que ce n’est pas à soixante-huit ans qu’on commence à rechercher des excès dont les cœurs les plus corrompus rougissent à vingt. Ce n’est pas quand on sent en soi la nature défaillir qu’on s’applique à en violer toutes les lois. La vieillesse amène l’avarice, la défiance, l’inflexibilité, et même l’amour du vin. Mais, pour les infamies qu’on attribue à celle de Tibère, elle en écarte invinciblement l’idée en ôtant la force de les commettre. » Voilà de belles phrases, qui ne sont pas tout à fait de bonnes raisons. Plût au ciel que ces vieillesses désordonnées, après une jeunesse régulière, fussent aussi rares que Linguet le suppose Nous n’avons que trop d’exemples de ces amours séniles dans lesquels l’âge ne se trahit que par les raffinemens qu’il ajoute à la débauche, et ce n’est pas sans raison ni sans vérité que Victor Hugo a dit, dans un beau vers :


Jeune homme, auquel il faut des plaisirs de vieillard !


Non seulement Linguet se refuse entièrement à croire ce que