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une oreille exercée ont tremblé tout le temps de les voir aboutir à un désaccord absolu, et n’ont pas été sans y relever parfois des dissonances. Ce sont des épreuves qu’il ne faut recommencer qu’à bon escient. Nous entendons par là qu’une longue préparation y est indispensable, afin de s’assurer, autant qu’on peut arriver à une certitude en pareille matière, qu’on a éliminé entre soi toutes les causes de mésintelligence et de conflit.

En étions-nous là, l’autre jour, à la Chambre des députés, lorsque des orateurs éloquens ou passionnés ont fait au gouvernement le reproche d’avoir oublié les Arméniens dans les revendications qu’il avait adressées à la Porte ? Eh quoi ! les Arméniens sont-ils donc Français ? sont-ils même protégés français ? Pas le moins du monde. Mais on a si souvent et si bien parlé d’eux qu’ils sont devenus en quelque sorte un sujet noble, et qu’en ajoutant leur cause à celles de Tubini et de Lorando, on espérait effacer ce que ces dernières avaient d’un peu terre à terre. Ainsi, parce que la France s’était engagée dans une démarche qui pouvait ressembler à une aventure, il aurait fallu que toutes les autres puissances s’engageassent avec elle dans une aventure beaucoup plus certaine ! Ainsi, parce qu’elle avait pris en main des intérêts français, et que ces intérêts, n’étant que français, n’étaient pas de qualité suffisante aux yeux de tous, il aurait fallu que l’Europe, et sans doute l’Amérique, accourussent pour lui faire cortège en apportant de nouvelles revendications ! Singulière conception politique ! Encore une fois, rien n’avait été préparé, aucun échange de vues n’avait eu lieu, aucun accord n’avait été établi : n’importe, nous avions besoin de frotter notre cause à la cause arménienne afin de la faire reluire, nous devions dès lors sonner la diane et appeler tout le monde autour de nous. En quoi nous nous serions exposés pour le moins à deux dangers, dont le premier aurait été de rester seuls, ce qui aurait été ridicule ; et le second, de ne voir accourir à nous que ceux qui auraient eu peut-être intérêt à se servir de la question arménienne pour leurs propres affaires, ce qui aurait été embarrassant.

Pourquoi ne pas parler en toute franchise ? On a dit que la Russie, au moment des massacres et en présence des émotions généreuses auxquelles d’autres nations semblaient ne pas pouvoir résister, avait montré dans sa propre action une réserve qui a paralysé la nôtre. Nous ne voulons pas rechercher aujourd’hui si les choses se sont passées comme on le raconte ; mais, à supposer qu’il en ait été ainsi, qu’est-ce que cela prouverait, sinon que la question n’est pas aussi simple qu’on l’imagine, et que les Russes y ont peut-être des intérêts très sérieux