Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi sensibles que personne à ce qu’a eu autrefois de noble et de chevaleresque l’attitude de la France à l’égard des nationalités opprimées ; c’est une des gloires les plus pures de son passé ; et, bien qu’abandonnée par tous lorsqu’elle a été à son tour malheureuse, elle ait pu se demander si ses malheurs ne lui venaient pas en partie d’une politique où elle avait trop souvent oublié ses propres intérêts pour ne songer qu’à ceux d’autrui, nous sommes loin de lui déconseiller désormais les dans généreux auxquels elle s’est abandonnée si souvent. Mais peut-être, instruite par de dures épreuves, doit-elle y mettre plus de mesure et de réflexion. S’il est une nation qui ait acquis chèrement le droit de songera elle-même, tout le monde conviendra que c’est elle. On la trouvera toujours au premier rang pour défendre la cause de l’humanité, à la condition toutefois de n’y être pas seule, de s’y sentir entourée et suivie, et d’avoir pris certaines précautions qu’il ne faut jamais négliger, lorsqu’on est une grande nation politique, et qu’on a affaire à d’autres qui ne le sont pas moins. Ne voir dans la question arménienne que les massacres qui ont ensanglanté l’Orient, c’est n’en voir qu’un côté, le plus facile à voir assurément, celui que tout le monde voit, qui est accessible à toutes les intelligences, et qui produit dans tous les cœurs les mêmes sentimens d’indignation et de pitié. Les questions les plus complexes, et la question arménienne est de ce nombre, deviennent d’une simplicité merveilleuse, lorsqu’on les réduit ainsi à l’élément sentimental. Combien de fois dans notre histoire n’avons-nous pas été les dupes de cette simplification ! Le peuple y cède volontiers, et l’on a eu raison de dire que toute assemblée était peuple : il en sort des voix qui parlent puissamment et qui doivent toujours être entendues, mais qui ne sont pas les seules à mériter qu’on les écoute. La question arménienne, avons-nous dit, est très complexe. Suivant la manière dont on la traitera, et elle peut l’être de manières très diverses, on touchera à des intérêts qui sont eux-mêmes très divers. Si toutes les Puissances se laissaient guider jusqu’au bout par les premières suggestions de leur cœur, elles seraient facilement d’accord : encore faudrait-il s’assurer qu’après les suggestions du cœur, qui leur sont communes à toutes, elles n’en suivraient pas d’autres, celles de l’esprit purement politique, qui pourraient amener entre elles de regrettables divergences. On a fait, dans ces dernières années, plusieurs essais, plusieurs applications du concert européen ; elles n’ont pas, trop mal tourné, et c’est tout ce qu’on peut en dire de mieux ; mais ceux qui ont suivi les modulations du concert avec une attention soutenue et