décisif dans nos intentions. Ne croyant pas que nous irions jusqu’au bout, il n’a pas encore cédé. Bien plus, lorsqu’il a appris que l’amiral Caillard était arrivé devant Mitylène, il a suffi que le mauvais temps nous ait empêchés de débarquer le premier jour et que l’amiral ait jugé utile de faire au préalable quelques reconnaissances le long des côtes pour que le Sultan, toujours sceptique, ait persévéré dans son immobilité. Quelle étrange idée se faisait-il donc de nous ! Comment avait-il pu espérer que nous nous arrêterions à moitié route ? Ce naïf réaliste n’a cru à notre résolution que lorsqu’il en a vu l’effet : mais alors la sienne n’a pas été longue à prendre. Aussitôt qu’il a appris que nous avions occupé les douanes de Mitylène, il s’est incliné, non pas toutefois sans avoir fait de nouvelles et de vaines tentatives auprès des gouvernemens étrangers pour leur demander un appui, que tous lui ont refusé. Dans l’état d’instabilité où est son empire, c’était une chose très grave pour lui de voir une puissance européenne en occuper une parcelle quelconque : le moindre ébranlement pouvait en détacher non seulement celle-là, mais d’autres encore.
Ce n’est pas ce que nous cherchions. Nous n’avons aucun intérêt à rouvrir en ce moment la question d’Orient, et, si, à la suite de notre intervention militaire, l’aveuglement persistant d’Abdul-Hamid avait entraîné des conséquences aussi périlleuses, nous l’aurions regretté, sans que cette considération nous arrêtât cependant dans la défense de nos droits. Tout ce que nous pouvions faire, et nous l’avons fait, était de restreindre nos revendications à des intérêts français, au lieu de les étendre à des intérêts généraux : dans ces limites, nous ne devions rien négliger, rien oublier d’important. On nous avait obligés à user de moyens qui, comme on l’a tant répété, étaient hors de proportion avec l’affaire Lorando : pour rétablir la proportion, nous n’avions qu’une chose à faire, qui était de mettre nos exigences nouvelles en rapport avec les moyens employés. Lorsque le médecin a échoué avec les remèdes lénitifs qui lui sont propres, et qu’on a recours au chirurgien, celui-ci vide l’abcès tout entier. En conséquence, nous avons demandé la reconnaissance de toutes nos écoles actuellement existantes, l’attribution à ces écoles ou maisons hospitalières de tous les privilèges que les traités et les traditions devaient leur assurer, l’autorisation de reconstruire tous ceux de nos établissemens qui avaient été détruits pendant les troubles arméniens, l’investiture du patriarche arménien, en un mot le règlement immédiat de toutes les affaires en suspens. Le Sultan a tout accordé : ses yeux enfin s’étaient ouverts. Mais, a-t-on dit, qu’aurions-nous fait s’il n’avait pas cédé ?