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On trouverait, dans cette Phryné que nous rappelions plus haut, un mouvement analogue. A propos d’un archonte ridicule, des Athéniens d’opérette chantaient à peu près ceci : « Dicéphile est bon enfant ! » Les Barbares de l’Opéra ne sont guère plus méchans que Dicéphile. Et je ne m’en plains pas. Il est bon que la musique soit la servante — on dit même aujourd’hui l’esclave — du drame. Il n’est pas mauvais non plus que parfois elle n’en soit pas la dupe.

Dans une étude générale du talent de M. Saint-Saëns, de pareils traits seraient à retenir. L’esprit du maître, un esprit de finesse et je dirais, si j’osais, de gaminerie, éclate volontiers même en ses œuvres sérieuses ; il les détend et les égaie. Rappelez-vous le ballet d’Ascanio : parmi les danses exquises, du style Renaissance le plus pur, la brusque échappée d’un piston en goguette, qui semblait mêler un coin de Montmartre aux parterres de Fontainebleau. Pour être moins panaché, le ballet gallo-romain des Barbares ne manque ni de pittoresque ni d’humour. Il commence dans le mode lydien. Mais, après cet hommage rendu par le musicien d’Antigone à l’archéologie, il se poursuit en des modes simplement gracieux ou gais, français surtout et même, çà et là, parisiens. « Dieu ! que c’est amusant ! » disait volontiers une illustre cantatrice des chefs-d’œuvre qu’elle aimait. Il serait dommage sans doute que de la musique des Barbares on n’eût que cela à dire. Mais j’avoue que, dans le temps où nous sommes, je ne déteste pas la musique dont on peut dire même cela.


M. Vaguet (Marcomir) n’est pas un ténor de force, mais de style, ce qui vaut mieux. La voix de Mlle Hatto (la vestale) est aussi légère et quelquefois moins pure que la flamme de l’autel. M. Delmas de consul Scaurus) n’a rien à chanter, mais le chante fort bien. L’orchestre a mal joué, du bout des doigts et du bout des lèvres, l’admirable ouverture-symphonie de finale surtout) que le public écouta plus mal encore. Et pour cent raisons, qu’il serait trop long de déduire, l’Opéra continue d’être le lieu du monde le plus funeste à la musique.


CAMILLE BELLAIGUE.