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Le jour où le maître écrivit cette page, que je crois sans pareille en son œuvre, son âme fut pleine et chaude en quelque sorte de la déesse. Je ne l’en ai trouvée que tiède ici. Les couplets de Livie ne manquent assurément ni d’élégance, ni de charme, ni même de tendresse. Sans beaucoup de puissance, ils expriment un sentiment. Ce que rendait manifeste et presque terrible le récit de Phryné, c’était une force de la nature et le principe même de la vie. C’était la Vénus d’Homère ou de Lucrèce. Nous n’avons plus aujourd’hui que celle d’Ovide. Il est vrai que c’est quelque chose encore, ou quelqu’un, et nous ne nous plaignons pas.

Félicitons-nous surtout que dans la musique en général, malgré le titre et le sujet de la pièce, il n’y ait pas trace de barbarie. Un Saint-Saëns est trop avisé pour donner dans le genre, ou le poncif barbare. Les sayons de peau d’ours et les casques empennés ; les glaives, les boucliers et les épieux ; tout l’attirail sauvage et le bric-à-brac préhistorique, usé depuis Wagner et déjà même par lui, ne figure ici que dans le livret et sur la scène ; la musique n’en a cure et quelquefois, tout bas, elle en rit. Pour les Teutons et les Cimbres, elle ne s’est pas mise en dépense. Au premier acte pourtant, elle célèbre leur arrivée en quelques pages convenablement tapageuses. Mais, au troisième acte, avec plus de plaisir, elle salue leur départ. Je vous recommande ici deux chœurs qui se suivent. Quelqu’un près de moi trouvait au second l’éclat d’une ode de Pindare. On montrerait peut-être plus aisément que, par le rythme, le mouvement, la force et la lumière, cet hymne est digne de Hændel, ou de M. Saint-Saëns lui-même, le Saint-Saëns de La Lyre et la Harpe et de Samson et Dalila.

L’autre chœur s’éparpille sur une sorte de scherzo charmant, spirituel, où la vie du peuple délivré semble reprendre son cours, où l’orchestre se ride et se plisse de mille petits flots pressés et joyeux.

Enfin, je sais un passage où j’ai cru surprendre la malice et même l’ironie qui n’est pas toujours étrangère au talent du grand musicien. C’est pendant le duo d’amour, quand retentissent, à la cantonade, les cris et les menaces de mort. L’épisode est le plus banal du monde. Un autre s’y serait laissé prendre et nous aurions eu, — et dans la coulisse encore ! — un « chœur de Barbares » de plus. En homme d’esprit, que fait M. Saint-Saëns ? Ne pouvant éviter la vulgarité de la chose, il l’exagère à plaisir. Sur un rythme de quadrille, il jette un refrain qui sent la parodie, presque la charge :

Vive Odin, vive Thor !
Aux Romains la mort, la mort !