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D’autres détails ont leur prix, et les arrière-plans et les coins même de cette œuvre sont éclairés. Le commencement du second acte est une chose délicieuse. Dans la nuit sereine, au pied de la muraille gigantesque et sur les degrés du théâtre romain, dorment des enfans et des femmes. Livie et Floria traversent lentement les groupes étendus. Elles parlent, à voix basse, de péril et de deuil. Et, plus que le décor et que la mise en scène, c’est leur discours timide, entrecoupé, c’est le murmure alterné des violons et des flûtes, c’est la musique enfin qui dit la mélancolie du lieu et de l’heure ; elle qui, se glissant aussi parmi les formes blanches, veille avec une tendresse inquiète sur leur sommeil innocent et menacé.

On se plaint quelquefois, oubliant sans doute le second acte de Samson, — voire la fin du premier, — que la musique de M. Saint-Saëns manque d’amour. J’avoue que, dans les Barbares, cette passion ne tient pas une très grande place. Le duo de Marcomir et de Floria finit pourtant par un nocturne plus qu’affectueux, où les deux voix s’enlacent avec autant d’étroitesse que d’originalité, où la mélodie s’échauffe, brûle, puis s’éteint et meurt, d’une mort que des retards harmoniques diffèrent longtemps et dont cette longueur, ou cette langueur, fait la voluptueuse beauté.

Il semble enfin que les couplets de Livie révélant à Floria le pouvoir de Vénus ne sauraient déplaire à la déesse. Mais peut-être se souvient-elle d’avoir été célébrée sur un mode plus éclatant, sous les traits et par la voix d’une de ses servantes, qui fut sa rivale un jour. M. Saint-Saëns a chanté naguère ce jour d’involontaire et glorieuse émulation, l’aventure de Phryné se plongeant dans les flots et saluée par les pêcheurs éblouis du nom de sa maîtresse. Le souffle antique anime cette page splendide. La Grèce eût reconnu là toutes ses beautés, depuis celle de sa poésie et de ses croyances, jusqu’à celle de ses marbres et de ses rivages. Rappelez-vous l’admirable récit : par quelle description il commence ; par quel paysage sonore, où l’orchestre imite le rythme des vagues, où la voix descend et semble suivre la chute du soleil. Puis la symphonie enveloppe, elle aussi, le corps de la baigneuse ; elle le caresse et l’embrasse ; elle fait rejaillir autour de lui les notes écumantes. Tout à coup retentit au loin le nom sacré. L’orgueil alors, l’orgueil de la ressemblance divine envahit le cœur de la jeune femme et l’enivre. L’océan sonore bouillonne, se soulève, puis retombe avec fracas, et, des arpèges ruisselans de l’orchestre qui déferle et se brise, on croit, avec les nautoniers qui s’émerveillent et s’épouvantent, voir Aphrodite même sortir.