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que jamais classique se plaît chaque jour davantage. Plutôt que d’accumuler, il choisit. Le maître vieillissant goûte surtout, l’essence des choses, ou leur fleur. Il sait tous les moyens, mais, loin de les prodiguer, il les épargne. Il allège la matière sonore et pour ainsi dire il la sublime, au lieu, comme font tant d’autres, plus jeunes, de l’accroître sans cesse et de l’aggraver.

De là vient la transparence de sa musique de cristal. Limpide à la surface et dans l’ordre en quelque sorte extérieur des sonorités et des timbres, elle ne l’est pas moins au fond, dans l’ordre des idées elles-mêmes ; ainsi, pour l’oreille et pour l’esprit, elle n’a jamais rien d’épais ni d’obscur. J’aime en tout l’ouvrage la discrète activité de l’orchestre. Constamment la symphonie soutient le drame ; quelquefois elle l’occupe et le remplit ; nulle part elle ne l’encombre ni ne l’étouffé. « Quoi ! pas de leitmotive ! » se sont écriés, ou récriés, les pédans. Ont-ils donc si mal écouté, qu’ils ne reconnurent point, dans une brève ritournelle, avant les couplets de Livie à Vénus, la psalmodie rappelée de la jeune vestale, et dans certain passage fugué du prologue, une combinaison, d’ailleurs exquise, d’une phrase de Scaurus avec un des motifs d’amour ? Mais du leitmotiv, ainsi que de tous les élémens de son art, M. Saint-Saëns, encore une fois, se sert moins qu’il ne se joue. Il n’exagère et n’affecte rien. Craignant la vulgarité mélodramatique, il a traité la dernière scène de convoi d’Euryale et le meurtre de Marcomir) avec un parti pris de réserve et d’intensité sombre : en quelques pages d’une juste et brève déclamation, que porte avec aisance la symphonie funéraire. Aux deux silhouettes féminines (car Livie et Floria même sont à peine davantage) il a su donner, en quelques touches seulement, un semblant de caractère et de vie : à l’une, de la grâce ; à l’autre, de la grandeur. Trop souvent penchée sur la dépouille conjugale, Livie se penche du moins avec noblesse. Ses deux invocations au mort, l’une farouche : « Euryale, je te le jure ! » et l’autre : « Euryale, reviens ! » plus doucement plaintive, sont rythmées par un fier accent d’orchestre, un simple accord arpégé de septième montante, que l’exégèse wagnérienne ne manquerait pas d’appeler le motif du veuvage consulaire.

La figure de Floria n’est qu’un profil sonore, mais dessiné par de pures mélodies : par le chant des Vestales (Sœur de Minerve et de Mithra), et surtout par certaine phrase (Mon âme est calme), que perle lentement la voix isolée de la jeune prêtresse. Dans toutes les cérémonies païennes (et certes elles sont nombreuses) du répertoire de l’Opéra, je ne sais rien de plus antique, de plus simple et de plus exquis.