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son cœur, qui n’y pouvait guère trouver où se prendre. Mais, avec beaucoup de son immense talent, il y a mis quelque chose même de son esprit. Et ces deux points feront l’objet de notre discours.

Les Barbares sont moins un drame en musique que de la musique à propos — je ne dis pas à côté — d’un médiocre drame. Et cette musique est la plus claire et la plus pure, la plus sobre en même temps que la plus ingénieuse, et, sinon toujours la plus sensible, constamment la plus intelligente et parfois la plus spirituelle que puisse écrire aujourd’hui un musicien.

Le prologue ne se contente pas d’annoncer l’ouvrage et de le résumer d’avance : il le dépasse. Au seuil d’un opéra, c’est-à-dire d’une œuvre où vont se mêler à la musique tant de choses qui lui sont étrangères, inférieures, si ce n’est contraires, il appartenait à M. Saint-Saëns, et à lui seul, de rendre un tel hommage et d’élever ce portique à la gloire de la musique pure. Si noble et si juste d’accent que soit le récit du rapsode exposant le drame, il n’est indispensable qu’au théâtre. Ailleurs on le supprimera sans doute et nous réentendrons, au concert, la seule symphonie que, depuis sa symphonie en ut mineur, M. Saint-Saëns ait composée. Elle n’est point indigne de son illustre aînée. Elle a pour élémens, comme certaines ouvertures-programmes de Beethoven, de Weber et de Wagner, les principaux thèmes de l’opéra futur. Mais je ne sais comment il arrive qu’ils ont tous ici, thèmes de guerre, d’amour ou de mort, un intérêt, une valeur que par la suite ils ne posséderont plus au même degré. Appropriés aux situations ou aux personnages, ils pourront gagner en précision, mais ils perdront en profondeur. Je les admire davantage à leur première apparition et sous leur forme primitive : plus vagues sans doute, mais plus grands et capables de nous induire en de plus vastes pensers comme en de plus beaux rêves. Plus libres aussi, développés sans restriction ni contrainte, c’est ici qu’ils se donnent tout entiers, avec tout ce qu’ils renferment, sans rien sacrifier de la plénitude de leur être aux nécessités ou aux conventions du théâtre.

Il débute, ce magnifique prologue, par une phrase animée d’un souffle continu, mais contenu aussi. Elle circule à travers l’orchestre, qu’elle gagne peu à peu. On dirait qu’elle l’essaie ou le prépare. Elle forme le premier morceau, qui n’est pas le plus important, de la symphonie. Après le récit du barde commence le second, un andante. Il se déroule sur le thème d’une ode, ou d’une élégie à Vénus, qui sera dans le cours de la partition l’un des « motifs d’amour. » Mais c’est ici qu’on voit le mieux avec quelle élégance aisée la guirlande