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n’a pas manqué de prétendre, au mépris des textes, que la loi garantit l’exercice de ce droit et sanctionne ce devoir de justice conjugale. De la littérature, le préjugé est passé dans la vie réelle : on connaît assez l’inépuisable indulgence du jury pour les crimes passionnels. Ce préjugé est celui qu’expriment encore Raymond et Gérard de Gourgiran, représentans de l’opinion commune. C’est contre cette fausse, dangereuse et grossière opinion que s’élève M. Paul Hervieu par la voix du marquis de Neste, le Desgenais de la pièce. « Non, et en aucun cas, nous n’avons le droit de tuer pour venger notre injure personnelle. Le crime passionnel est un crime. Il est tout particulièrement sans excuse. Dans l’acte de celui qui tue par amour, il n’entre pas une parcelle de justice, et pas même une parcelle d’amour. Il n’y a qu’orgueil blessé, égoïsme sauvage, sensualité bestiale, réveil soudain de la brute déchaînée par le délire des sens. Il n’y a rien que de bas, de honteux, de boueux et d’odieux. » Ainsi parle ou à peu près cet homme sage, effrayé du drame qu’il pressent. Ces idées ont été maintes fois exprimées par les moralistes, et à plusieurs reprises on les a développées ici même ; elles ne l’avaient guère été à la scène ; il faut savoir beaucoup de gré à M. Paul Hervieu de les avoir portées au théâtre, de leur avoir donné l’incomparable retentissement que prennent les choses en cet endroit sonore, et de s’être servi de l’émotion pour faire mieux pénétrer dans les âmes le conseil du bon sens.

Une situation dramatique, une thèse morale, tels sont les deux élémens dont se compose l’Énigme. Reste à savoir comment l’auteur les a combinés ensemble, c’est-à-dire si la situation n’est bien que l’illustration de l’idée. C’est par là que sa pièce prête à la critique. Lorsque nous avons assisté à la conversation du premier acte et entendu les déclarations du marquis de Neste, nous n’avons pas douté que l’objet même de la pièce ne fût de prouver que le mari n’a pas le droit de tuer. Mais, au théâtre, rien ne compte que ce qui est mis en acte et présenté sous forme sensible par des faits. Dans la Femme de Claude, Dumas nous met sous les yeux une série de cas où Césarine nous apparaît en effet comme un agent de malheur, en sorte que le coup de fusil de Claude semble abattre, non un être humain, mais une bête malfaisante, et que nous venons à prononcer nous-mêmes le fameux : « Tue-la ! » Ici, au contraire, l’idée reste sous forme de discours. Il nous faut admettre que ces discours ont tout de suite et par la seule force de leur persuasion trouvé le chemin des cœurs. Il nous faut admettre que deux hommes qui, à dix heures du soir, pensaient,