souhaiterions qu’il ne leur arrivât pas d’ennuis. Mais nous ne faisons pas de vœux pour l’un d’eux en particulier, attendu qu’on nous les donne pour être tous deux aussi dignes d’intérêt, se ressemblant d’ailleurs comme un sanglier ressemble à un autre sanglier… Cela va tout droit contre la théorie d’après laquelle l’auteur doit nous faire trembler pour un personnage qui nous est spécialement cher et sur la tête de qui il accumule les menaces. Disons plus. Voilà une pièce intéressante où l’on ne s’intéresse à personne. Et cela tient de la gageure !
L’Enigme est une pièce où l’auteur ne nous confie pas ses secrets. Il ne nous met pas dans la confidence. Il s’applique au contraire à prolonger notre incertitude. Ce qui est une énigme pour la plupart des personnages du drame, pour Raymond et Gérard comme pour le marquis de Neste, en est aussi bien une pour nous. Laquelle des deux ? Gisèle ou Léonore ? Gisèle est emportée ; elle se mêle avec véhémence à la discussion, elle nie qu’un mari outragé ait le droit de tuer les coupables. Est-ce la nervosité d’une femme qui se sent en danger et plaide sa propre cause ? Est-ce l’imprudence d’une épouse vertueuse qui, se sachant sans reproche, s’explique sans ménagemens ? Léonore écoute d’un air absent ces propos de violence. Est-ce sérénité d’âme ? Est-ce dissimulation ? Plus tard, Léonore, au bruit de la dispute entre les trois hommes, apparaît presque aussitôt. Cette précipitation est-elle un indice qui l’accable ou qui l’innocente ? Gisèle, au moment où son mari va la chercher, était endormie. Mais dormait-elle vraiment ? Plus ils poursuivent leur enquête, plus ils retournent les données du problème, plus les personnages du drame le trouvent insoluble. Nous de même. Notre curiosité s’exaspère. Nous sommes étreints par une sorte d’angoisse particulière qui est faite moins d’émotion que de l’irritant désir de savoir… Et cela va tout droit contre ce conseil que Sarcey ne se lassait pas de donner : « Mettez une énigme à la scène, si cela vous fait plaisir, mais à condition d’en avoir d’abord donné le mot au spectateur ! »
Voilà pour les procédés d’exposition. L’idée qui a probablement inspiré la pièce n’est pas moins en contradiction avec les idées reçues au théâtre. A-t-on le droit, pour une déception d’amour, de faire couler le sang ? Ce prétendu droit, un millier de drames et dix mille romans le proclament. Ils ne sont remplis que des vengeances de maîtresses abandonnées ou d’amans trahis qui se font justice aux applaudissemens du public. Mais, lorsque le meurtrier est un mari outragé, c’est alors que la légitimité de son acte passe pour ne faire aucune espèce de doute. C’est, dit-on, un devoir qu’il remplit. Et on