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une pièce de théâtre, il ne doit rien se passer que de nécessaire. » — De même que se trouve écartée toute complication d’incidens, de même il n’y a de place ici pour aucun personnage accessoire. Le champ de l’action étant bien circonscrit, ceux-là seuls peuvent y être admis qui sont de leur personne engagés dans l’affaire. Donc, les deux frères et les deux belles-sœurs, l’amant, un vieux cousin, le marquis de Neste, qui servira de porte-parole à l’auteur, le garde Laurent, et c’est tout. — Pas de place non plus pour les scènes épisodiques destinées à égayer l’ouvrage, à délasser le spectateur, à faire briller l’esprit de l’auteur. L’unité de ton est apparemment celle à laquelle tient le plus M. Hervieu ; et le mélange des genres, réclamé jadis par les romantiques au nom du naturel et de la vérité, est ce qui lui semble avoir été la pierre d’achoppement du théâtre depuis cent ans. Dans une crise qui va bouleverser plusieurs existences, à quelques heures d’une catastrophe qu’on sent inévitable, dans une atmosphère lourde de l’orage prochain, ce n’est pas le cas de faire des mots. M. Hervieu, dont la pièce avait d’abord été annoncée comme une comédie, a protesté : il a eu terriblement raison ! Le vrai titre qui eût convenu à sa pièce, c’est « tragédie moderne en prose. »

Confinée dans un coin de l’espace et de la durée, enserrée dans les liens de la nécessité, réduite aux personnages essentiels et aux scènes indispensables, tenue dans une même teinte uniformément sombre, on voit assez par quoi une telle pièce tranche sur l’ensemble de la production courante. Poursuivons, en prenant note du démenti violent que l’auteur de l’Enigme s’est mis en devoir d’infliger à quelques-uns des « principes » inscrits sur les tables de la loi du théâtre moderne.

L’Énigme est une pièce où il n’y a pas de personnage sympathique. — Qui serait-ce en effet ? Ce n’est pas l’amant. M. Hervieu a certainement fait exprès de donner à Vivarce une physionomie si insignifiante. Ce bellâtre s’introduit dans les maisons comme un voleur, se fait prendre comme un maladroit, se laisse rudoyer comme un faible, s’embrouille dans ses mensonges comme un enfant, et finalement se suicide pour se donner une contenance. Ni ses périls ne nous inquiètent, ni son accident ne nous fait aucune espèce d’impression. Ce n’est pas la femme innocente, puisque nous ne la connaissons pas. Ce n’est pas davantage la femme coupable, puisque M. Hervieu a, cette fois, évité de nous la présenter comme une noble révoltée et de placer dans sa bouche quelque éloquente revendication du droit à la passion. Restent les deux maris. Ce sont de braves gens, à coup sûr, ce sont d’honnêtes rustres, et, s’il nous était possible, nous