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geishas ? Non ; ces chanteuses et ces danseuses ne sont plus que des drôlesses. Nos beaux messieurs affectent des airs de petits-maîtres. Ils reconnaissent leurs anciennes et en crèvent de joie. » Tiens, que faisais-tu hier ? Qu’as-tu fait depuis que je ne t’ai vue ? » Et, pendant qu’ils s’amusent, jabotent et barbotent dans leur riz, leurs femmes, sages comme des bouddhas, pensent sans doute au temps où elles appartenaient à la corporation de ces travailleuses. Sinon, comment expliquer qu’une femme puisse vous dire : « Hier, nous avons passé la soirée en compagnie d’une maîtresse de mon mari, » et qu’elle éclate de rire ? Quant aux épouses sérieuses, on leur apprend la musique, l’art des bouquets, la cérémonie du thé et on leur paie un voyage à la campagne ou au bord de la mer… Au Japon, rien n’est plus digne de pitié que la femme. Quand son mari lui parle, c’est un Daïmio qui s’adresse à son serviteur. Tout ce qu’elle possède, elle l’attribue à la munificence de son époux. Son existence même est un effet de la bienveillance de cette Majesté lumineuse. Mais, quand cette Majesté, pour s’être galvaudée, se détraque et s’alite, alors l’épouse fâcheuse ou dédaignée lui devient extrêmement « confortable. » Elle lui administre les médicamens ; elle le dorlote ; elle sèche sur pieds pour que le teint du Maître refleurisse… Chez nous, l’homme ne tient à la femme que par la chair. Les maisons sont des étables à porcs.


Ces diatribes ne guérissent pas le mal, mais elles acheminent tambour battant et à coups de crosse les Japonais vers la reconnaissance des droits de la femme et l’égalité des deux sexes.


Si les innombrables journaux, dont la hardiesse grandit chaque jour, éveillent chez la femme des idées d’indépendance, la littérature moderne l’y entretient et l’amène à concevoir les droits de l’amour. Les romans, dont la clientèle est surtout féminine, se multiplient ; les théâtres, où jadis ne fréquentaient que les gens du peuple, se sont ouverts aux gens du monde. Exubérante, mais encore pauvre, cette littérature n’est qu’une adaptation plus ou moins adroite des sentimens européens au milieu japonais. Je laisse de côté les tentatives de poème épique comme l’Étoile Blanche, où des écoliers ont essayé de donner à un sujet d’origine chinoise la forme d’un poème anglais ou allemand. A peine mieux inspirés dans leurs travestissemens érudits des Misérables ou des romans russes, — il faut noter cependant une heureuse traduction de Graziella due au pinceau d’une jeune fille, — leurs œuvres sont plus intéressantes pour le public japonais et pour nous plus instructives lorsqu’ils nous empruntent ou nous pillent sans en souffler mot. Depuis des siècles, romanciers et dramaturges délayaient les mêmes sentimens dans les mêmes aventures. Nous leur avons fourni de