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conversions, déploiemens en tirailleurs, où les petits pieds fourchus ont du mal à rattraper leurs savates.

Les programmes, aussi souvent remaniés que les noires, sont bourrés à faire éclater la cervelle, comme les nôtres. Mais leurs illogismes et leur disconvenance avec l’état actuel du Japon dépassent encore leur présomption. « Apprenez à être lentes, murmure aux jeunes Japonaises l’étiquette maternelle. » — « Une, deux ! Empoignez les haltères et pas accéléré ! leur crie la gymnastique européenne. » — « Le Japon est le plus beau pays du monde, leur dit leur histoire, et, s’il n’a point eu de grands penseurs, c’est que les grands penseurs sont des réformateurs et qu’il n’a jamais eu besoin d’être réformé[1]. » — « Réformons-nous ! Réformons-nous ! leur chantent tous les échos. Il convient que le Japon s’élève au niveau de l’Europe et de l’Amérique. » — « Petites mousmés, vénérez les Sages de la Chine. » — « Mesdemoiselles, lisez Shakspeare et Voltaire. » — « Nous descendons des Dieux ! » — « L’homme descend du singe ! » — « Nous sommes des esprits pratiques et voulons former des ménagères. Vous saurez en quittant l’école cuisiner des plats très chers et très bons ; — seulement la plupart d’entre vous n’auront jamais l’occasion de les manger dans leur famille. — Nous commençons avec vous des études universelles qui exigent au moins que vous y consacriez votre jeunesse ; — seulement vos parens vous marieront à quinze ou seize ans. »

Qui sait s’il ne faut pas applaudir à tant d’incohérences ? La femme, à moins d’en demeurer stupide, y fortifiera singulièrement son esprit d’initiative. Son passage par l’école lui fait mieux sentir l’anachronisme de sa vie familiale ; elle en soutire davantage peut-être, mais elle localise sa souffrance et la définition du mal en précise le remède. Les élèves de l’Ecole normale, qui commencent leur noviciat à l’Ecole maternelle, y sont naturellement exquises. Ces jeunes mères des enfans d’autrui, douces, souriantes, le des voûté par leur ceinture, gardent encore le charme virginal de la femme japonaise. Mais, quand elles retournent à leur bibliothèque et y feuillettent les deux ou trois plus grands journaux du Japon qu’on leur met entre les mains, penchez-vous et regardez ce qu’elles lisent.

  1. Je détache cet étrange raisonnement de la rédaction d’une grande élève de l’École normale.