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La femme n’en est pas ennoblie. Sentiment inférieur, attribut de cette créature inférieure, on juge naturel que l’homme l’inspire, et décent que le gentilhomme ne semble pas l’éprouver. Il l’éprouvera parfois, et à une profondeur insoupçonnée ; seulement la même pudeur, qui lui interdit les effusions religieuses, scellera ses lèvres et fermera son cœur aux épanchemens amoureux. Il gardera devant celle qu’il adore la raideur de l’étiquette, et, quand il en déposera le harnois, ses abandons mêmes auront l’air de condescendances. En général, l’amour n’est pour lui qu’une passade entourée d’un joli décor, agrémentée d’un peu de musique, relevée d’un peu de mélancolie. Toute la poésie amoureuse du Japon fleure la galanterie et la sensualité : « J’ai vu, dit le poète, cheminer sur le pont écarlate une belle fille en corsage bleu et en rouge hakama. Elle était seule et je voudrais savoir si elle dort seule dans sa couche virginale… » Mais, aventure passagère ou sérieuse, l’homme, pour commencer, ne se départira guère de sa réserve hautaine. Il attend qu’on lui fasse des avances, et, s’il veut les hâter, ce sera moins par des prévenances que par des brusqueries. Dans un cercle de Japonais et de geishas, vous reconnaîtrez l’amoureux à son manque d’urbanité envers celle qu’il aime. J’ai noté qu’au théâtre, la déclaration d’amour part le plus souvent de la jeune fille ou de la femme. Ce n’est point à sa nourrice que la Juliette japonaise dit « son lit ou la tombe, » c’est à Roméo lui-même. Et non-seulement l’homme a joué l’indifférence, mais, à l’heure du berger, il feindra de céder encore plus aux fumées du vin qu’aux délices de l’amour. Quand le pêcheur Urashima pénètre chez la reine des fées, celle-ci prend bien garde de l’enivrer avant de l’introduire dans sa chambre. Et la princesse Kesa, qui, déjà résolue de mourir, attire son mari chez elle et l’invite à fêter la nuit, ne cesse de lui remplir sa coupe pour mieux goûter ses dernières joies nuptiales. L’amour japonais porte en guise de carquois une cruche de saké. Ses jeux ne sont pour l’homme que défaillances après boire. Sur la pente d’une légère ivresse, le samuraï se trouve au niveau de la femme.

Et cette idée que la femme doit prendre et prend toujours l’initiative du plaisir ou de la faute est tellement enracinée dans l’esprit japonais que l’ancienne législation n’avait pas prévu le cas du viol. Pendant mon séjour à Tokyo, un petit quartier de la ville fut mis en émoi par le scandale d’un homme qui avait