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délicates d’une civilisation artificielle, nous fassent penser quelquefois aux Iphigénies et aux Monimes ; qu’à travers le temps, l’espace, la différence d’un monde bouddhiste et d’un monde chrétien, on découvre dans l’âme d’une petite Japonaise, qui sait à peine ce que vaut une Ame, un air de famille et comme une parenté avec nos héroïnes les plus pures et les plus adorables, c’en est assez pour que nos rêves s’attardent où leur ombre a passé et en caressent amoureusement le souvenir. Sans doute elles n’atteignent jamais la plénitude de conscience ni le chaud velouté que seuls les espaliers du christianisme donnent aux âmes de choix. Mais qu’au lieu des pluies d’orage, un rayon de bonheur vienne à les mûrir, qu’une tendresse éclairée enveloppe et réchauffe leur abnégation modeste, la poésie japonaise aura du mal à trouver dans ses vieux reliquaires une image qui puisse rendre leur grâce et leur divine simplicité.

A la dernière page d’un roman japonais, le mari, dont les yeux se sont enfin dessillés, dit à sa jeune femme :

— Je te compare à la fleur du prunier, car le prunier est fécond et tu m’as donné des enfans.

Et la jeune femme répond :

— Je ne mérite point d’être comparée à la fleur du prunier, maître.

Alors le jeune homme, posant doucement la main sur son épaule :

— Je te comparerai donc, lui dit-il, au figuier, car le figuier, lui aussi, donne des fruits, et ses fleurs se cachent sous ses feuilles.


III

Jusqu’ici je n’ai prononcé qu’une fois le mot amour, et encore à propos des jeunes Européennes. L’idée de l’amour, en effet, qui envahit l’éducation de nos filles, effleure à peine celle des Japonaises. Ce sentiment individuel ne rentre pas dans les