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chansons qui voltigent autour d’elle. Son âme, éblouie du miroitement des métempsycoses, a conscience de sa solitude et de sa vanité dans ce tourbillon d’Ames qui l’enveloppe. Les poésies enfantines du Japon contiennent toute la mélancolie de l’Ecclésiaste. Leurs ritournelles brillantes et légères laissent un goût de cendre sur les lèvres à peine écloses. Je ne pense pas qu’il y ait au monde de petite fille aussi convaincue de sa propre insignifiance à l’égard de l’univers.

Elle acceptera d’autant plus volontiers sa condition d’inférieure. L’étiquette n’est en somme que la connaissance et l’observance des rapports qui nous lient les uns aux autres ; mais, dans un état social où l’individu n’existe que relativement à ceux qui l’entourent, elle devient comme sa vraie personnalité. Au Japon, l’intimité même de la famille n’en saurait justifier l’ignorance ou l’oubli. Dès ses premiers pas, la Japonaise est habituée à sentir sa dépendance, non seulement envers les êtres, mais envers les choses qui, léguées par les siècles, témoignent de la pensée des morts. Les enfans de Sparte ne témoignèrent jamais plus de vénération à la vieillesse, plus de respect à leurs pareils. C’est elle qui sert les hôtes, leur prépare le thé, leur verse le saké, leur joue du koto pour l’agrément du festin. Elle appartient à tous, sauf à elle-même.

Rien ne relève de son caprice. Ses divertissemens, réglés comme les mois et les saisons, s’accompagnent du même cérémonial que les actes importans de la vie. Ses poupées sont des icônes dont elle célèbre pompeusement la fête. Il faut que deux d’entre elles représentent l’Empereur et l’Impératrice et soient escortées de cinq musiciens en costume de cour. Il faut qu’elles s’alignent sur une étagère de laque rouge et reçoivent des offrandes de riz et de fleurs, comme les mânes des ancêtres. Comparez ces solennités quasi liturgiques à nos baptêmes de poupées où le bébé de porcelaine passe de mains en mains et parfois se casse la tête avant la fin de la dînette. Quels barbares que nos enfans ! Ils s’arrogent un pouvoir illimité sur les simulacres de vie que des mains expertes leur ont habillés et peints. Ces anges aux yeux bleus les fouettent, les scalpent, les dissèquent, se livrent sur eux à des curiosités de carabins et à des lubies de Peaux-Rouges. Mais les petites Japonaises, devant leurs délicieuses poupées, rendent hommage à la fantaisie des aïeux et à l’habileté des artistes. Elles ont conscience de leur petitesse