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et de la politique, le duc d’Otrante possédait du moins une conscience très nette des responsabilités qui l’attendaient devant l’histoire. Tout le long de sa carrière on le surprend tentant de se soustraire au jugement de ses actes passés. Ministre, il réussit à faire effacer son nom de certaines publications sur Lyon en 1793, à supprimer dans les archives de Nantes les pièces dangereuses pour sa réputation. En 1809 et 1810, sous la menace ou le coup de la disgrâce, il trie et brûle en hâte les dossiers pouvant un jour tourner en actes d’accusation contre lui. Sorti du ministère, il s’entête à ne pas rendre à Napoléon les lettres qu’il a reçues de lui. A son lit de mort, il fait anéantir les derniers témoignages écrits de son passage aux affaires qu’il ait gardés. En revanche, en exil, il fatiguait la presse de ses apologies directes ou indirectes, il multipliait, sans se montrer, les publications propres à rappeler à la France ses talens et ses services. Il laissait s’échapper de son cabinet les notes sur lesquelles, après sa mort, on devait composer ses Mémoires ; car, malgré ses intentions formellement exprimées de rédiger son autobiographie, de la faire paraître comme une protestation et une vengeance, il ne semble pas avoir poussé la sérénité dame jusqu’à écrire, à l’exemple de tant d’autres, sous forme de récit, son oraison funèbre.

Du vivant de Fouché, maint témoignage individuel a surgi en sa faveur, mais il en était de ces voix isolées comme des grâces particulières qu’il avait données pour atténuer dans l’opinion la portée de ses rigueurs ; elles acquittaient une dette de reconnaissance sans y joindre le tribut d’un peu d’estime. De même que ces grâces ne changeaient rien à l’esprit de son administration, les témoignages de ses protégés d’un jour se sont perdus dans la clameur générale qui l’a poursuivi depuis sa mort. Chateaubriand, dès 1816, le qualifiait dans sa langue imagée d’ « hyène habillée. » — « Il est difficile de trouver dans toute l’histoire, écrit en 1900 lord Rosebery, un personnage plus répugnant et plus mal famé. » Entre ces deux imprécations s’allonge contre lui, durant tout le siècle, une terrible litanie. L’opinion a jugé et exécuté Fouché sans phrases, sur sa réputation ou plutôt sur les réputations successives qu’il s’est spontanément faites. Elle a laissé en quelque façon sortir de l’histoire de France un nom qu’on ne lit plus qu’au loin, dans un annuaire militaire allemand ou dans un almanach de cour, en Suède.