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largement compromis que lui, protégé du moins par le souvenir de son hostilité constante à Bonaparte, voyait les conseillers du roi frapper à sa porte et transmettre ses bons avis aux Tuileries, mais il se gardait de redemander un rôle dans les affaires, qu’on ne lui eût d’ailleurs pas accordé ; l’impunité et les apparences de la considération lui suffisaient. Fouché osa et voulut davantage ; mal lui en prit. Pendant quelques semaines, les royalistes le flattèrent, l’accablèrent des témoignages d’une gratitude trop expansive peut-être pour ne pas lui donner à penser. On le fit encore une fois ministre de la Police ; n’était-ce pas déjà lui faire sentir qu’en dehors d’une certaine sphère, il n’y avait pas de place pour lui ? Les ultras l’imposèrent en quelque sorte au roi et presque aussitôt soulevèrent contre lui l’opinion dominante. Il dut quitter non seulement le ministère, mais la France, avec la vaine compensation d’une mission diplomatique à Dresde, que le coup d’Etat de janvier 1816 contre les régicides fit disparaître.

Depuis lors, Fouché erra ou végéta à l’étranger, condamné à l’inaction, à la déchéance pour le reste de sa vie. Ce vieux sceptique, pour lequel les mots de république, de souveraineté populaire ou parlementaire ne comportaient plus guère de sens, ce potentat déchu, narquois jadis devant les hommes et aujourd’hui exaspéré contre les événemens, en revenait au rêve des constitutionnels de 1790 ou de l’an III, rêve qui reprenait corps, alors que Decazes, son successeur à la Police, parlait de royaliser la nation et de nationaliser le royalisme. Il essaya de lutter contre sa destinée, fatigua de ses doléances les hommes publics en France et en Europe. Rien ne lui faisait voir la contradiction existant entre ses pratiques violemment autoritaires d’autrefois et les doctrines hautement médiatrices dont il avait importuné les oreilles de Louis XVIII, de juillet à septembre 1815. Du moins, parmi les libéraux, il compta des élèves avoués, d’anciens amis, Manuel à la tribune, Jay à la Minerve, et ceux-ci jouèrent selon la formule de ses rapports au roi la fameuse « comédie de quinze ans » qui eut pour dénouement les événemens de 1830. Fouché n’avait pu qu’assister de loin aux premiers actes. La mort le surprit dès 1820, confiné à Trieste, repoussé de partout, importun à tous. Il ne vit venir à lui durant ses derniers jours que quelques membres de la famille Bonaparte, que le sentiment de leurs propres malheurs avait remplis de pitié pour les siens.

S’il concevait très imparfaitement les rapports de la morale