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simultanément avec tous, dans l’intérêt de sa propre fortune ; mais, comme il les a tour à tour desservis et flattés, il doit redouter leurs soupçons en même temps que se prêter à leurs avances. Aussi les dix dernières années de sa vie sont-elles un vrai roman d’aventures et de la conclusion de ce roman ressort la preuve des périls auxquels s’expose, lorsqu’il veut se guinder aux grands rôles politiques, un policier, si habile qu’il soit.

Durant trois ans après sa seconde disgrâce, le duc d’Otrante vécut dans la retraite. En juillet 1813, Napoléon, préoccupé des moyens de soustraire ce maître intrigant aux tentations des opposans de l’intérieur, l’appela auprès de lui à Dresde, pour l’expédier ensuite à l’extrême frontière de l’Empire, comme gouverneur des provinces illyriennes. Chassé de ce pays par l’invasion au bout de quelques semaines, Fouché se vit incontinent délégué à Naples, où il était chargé de soutenir la fidélité chancelante de Murat ; peut-être y précipita-t-il sa défection, il rentra en France au moment où l’Empereur livrait en Champagne ses dernières batailles et à Paris alors que le Comte d’Artois venait de prendre pour Louis XVIII possession de la couronne. Cela n’était point fait pour l’inquiéter, car il avait pris de longue date ses précautions. Jamais échappé d’Eglise ne s’est moins conformé à la maxime évangélique : Le lendemain se suffit à soi-même. Il ne cessa de tout prévoir, même les Bourbons, au temps où il s’appliquait à effacer en France les moindres traces de leur souvenir. Dès 1803, il faisait à Louis XVIII, alors à Varsovie, des ouvertures intéressées ; en 1806 il laissait D’Andigné et Suzannet, ses anciens prisonniers, prononcer favorablement son nom à l’oreille d’un royaliste dissident, D’Antraigues. En 1807, il chargeait Perlet, déguisé sous le nom de Bourlac, de dire tout bas à l’hôte d’Hartwell que Fouché lui était tout acquis et qu’un comité royal fonctionnait impunément à Paris. Bien donc d’étonnant à ce qu’il crût devoir, en mémoire de ces mystifications successives, offrir sa collaboration à l’œuvre de la restauration bourbonienne.

Les circonstances l’avaient replacé quelques jours trop tard à portée des événemens. Le prince de Bénévent venait, sans son concours, de conduire et de mener à bien l’intrigue finale. Le duc d’Otrante put tout au plus, dans les couloirs du Sénat, contribuer à sceller dans une formule équivoque la réconciliation de la nation avec l’ancienne dynastie. Depuis quinze ans il redoutait une réaction politique dans l’Empire et le retour des Bourbons.