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de premier ministre, presque de régent. Il convoqua, à défaut de troupes de ligne, les gardes nationales, lit vibrer dans les proclamations le sentiment patriotique tel qu’il existait quinze ans auparavant : bien plus, il réussit à préposer au commandement un maréchal disgracié de la veille et suspect de tout temps pour ses arrière-pensées républicaines, le prince de Ponte-Corvo. Au bout de quelques semaines, Napoléon vit soudain clair dans son jeu ; après avoir loué son zèle, il l’accusa de troubler les esprits sans motifs, déclara la levée des gardes nationales imprudente et pleine de dangers pour l’avenir. Bernadotte dut céder la place à Bessières, en face d’un ennemi heureusement impuissant à prendre l’offensive. Fouché ne reçut d’autre punition que celle de tancer à huis clos son complice, et encore si celui-ci demandait des explications.

Ainsi l’Empereur paraissait croire encore une fois à ses protestations tardives de loyalisme. Dans ses lettres, il le gourmandait déjà depuis longtemps, d’un ton toujours plus rude, peut-être par crainte toujours plus pressante de sévir : « Vous avez une faiblesse dans votre administration que je ne puis concevoir, » lui écrit-il dès août 1805. Un peu plus tard, à l’occasion de je ne sais quelle proposition hostile au Sénat qu’il a reçue de lui, il le dénonce violemment à l’archichancelier : « Est-il fou ? A qui en veut-il ? Je commence à ne plus rien comprendre à la conduite de ce ministre. » En 1809, les objurgations se multiplient : « Vous ne faites point la police de Paris,… on dirait en vérité qu’à la police, on ne sait pas lire… J’ai reçu de vous un fatras sur le commerce des blés et qui est tout à fait ridicule. » A côté de ces boutades, on en surprend d’autres qui, prises dans leur sens littéral, constituent des hommages tant à la liberté individuelle qu’à la liberté de la presse, mais qui, à les examiner de près, tournent en critiques contre Fouché. Il plaît à l’Empereur de trouver son ministre maladroit, imprudent, mais, comme au fond il ne lui en veut pas d’avoir frappé tel individu ou tel journal, il ne donne aucune sanction à l’expression de son blâme.

Le duc d’Otrante ne discerna pas suffisamment le sens de ces avertissemens et, à la veille de sa seconde chute, il commençait à se croire intangible. Il faut l’entendre, au milieu du désarroi causé parmi les « votans » par la nouvelle du mariage de l’Empereur avec une archiduchesse. Thibaudeau effaré est accouru auprès de lui et lui a exprimé ses craintes : « Qu’importe ? Lui