Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destructeur de Cartilage, héros et vengeur de sa patrie. Dix ans après, le ministre et l’écrivain se retrouvaient pendant quelques semaines en Illyrie, le second journaliste au service du premier. Qui sait s’ils ne se sont pas encore revus en 1815, émules alors de zèle dans leur foi royaliste ? En tout cas, Nodier, bien plus tard, a payé à Fouché, en quelques pages plus attrayantes de forme que dignes de foi, sa double dette de gratitude.


III

Pendant quelques années, Fouché put se croire, concurremment avec le prince archichancelier, le second personnage de l’Empire. On le voit, tout en gardant son titre et ses émolumens sénatoriaux, entrer au Conseil privé et au Conseil des affaires ecclésiastiques, être décoré du grand aigle de la Légion (sans parler des chamarrures de la franc-maçonnerie officielle), devenir comte de l’Empire et duc d’Otrante. Le petit oratorien aux gages mensuels de 120 livres possédait alors, du fruit de ses divers traitemens et de ses spéculations personnelles, une fortune qu’on a évaluée à 14 millions ; il recevait entre autres 3 000 francs par jour de la caisse des jeux. Propriétaire, autant dire seigneur des châteaux de Pontcarré et de Ferrières, il tirait d’importans revenus de ses terres en Westphalie, en Provence et en Italie. Les hommes des partis les plus divers vantaient ses vertus privées et lui accordaient leur confiance. Un contemporain affirme avoir vu réunis dans son antichambre l’ancien contrôleur général Calonne et Parère, le porte-paroles de la Montagne conventionnelle. Il tenait sous son influence ce que M. Madelin appelle les trois faubourgs : le faubourg Antoine, refuge des derniers jacobins ; le faubourg Saint-Germain, repeuplé par les émigrés rentrés ; le faubourg Saint-Honoré, centre du monde officiel ; mieux que cela, les Tuileries elles-mêmes. Napoléon le subissait, tout en se flattant de le dominer. S’il lui dissimulait les secrets de l’Etat, il le laissait entrer assez avant dans ses affaires particulières et celles de sa famille. Il le disait intrigant, n’osant le croire infidèle ; car l’instrument était, comme on l’a dit, empoisonné, également dangereux à employer et à laisser inactif.

Malgré tout, Fouché ne pouvait manquer d’ennemis, et sa carrière ministérielle fut pleine de vicissitudes. Sur son propre terrain, il avait des concurrens, les chefs des contre-polices