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l’Oratoire, ce Scapin en carmagnole ne savait guère où diriger ses pas, et toute sa politique ne devait consister qu’à orienter sa marche au milieu de ses contemporains dans tous les sens où il pensait, d’une part assurer sa sécurité et sa fortune matérielle, d’autre part satisfaire sa soit d’activité et d’influence. Aussi, à distance, sa figure se dresse-t-elle sans cesse pour nous là où on ne l’attendait pas, couverte d’un masque, se dissimulant à moitié dans l’ombre ou ne se révélant que de profil. Est-ce bien le même homme qui nous apparaît au milieu des fondateurs de la République en l’an II et, en 1815, parmi les auteurs de la seconde Restauration ?

Jusqu’en 1789, le Breton Fouché, membre laïque d’une congrégation enseignante, n’appartient pas à l’histoire. La Révolution survint, qui le jeta, à l’âge de trente ans, dans la politique militante et violente. A la Convention, il vécut plus que personne en proie au sentiment qui étreignait ou déchaînait ses collègues suivant les circonstances, la peur. Il est évidemment la victime de la Terreur, quand, à quelques jours d’intervalle, il rédige un discours en faveur de Louis XVI, puis, avec phrases à l’appui, le condamne à mort, ou quand, désigné par Robespierre pour la dernière hécatombe, il accomplit avec les montagnards dissidens le coup d’Etat du 9 thermidor. Il devient au contraire l’instrument de cette même puissance mystérieuse, lors de ses missions à Nevers et à « Commune-Affranchie. » Il parodie alors l’apostolat au profit d’une sorte de nihilisme politique et religieux, faisant la guerre non seulement aux nobles, mais aux prêtres, non seulement aux prêtres, mais à la religion sous toutes ses formes visibles. Emule de Chaumette et précurseur de Babeuf, il mit une telle outrance dans l’application des principes jacobins qu’il finit par tourner tout le monde contre lui. En août 1795, on l’exclut de la Convention comme indigne et on le déclara inéligible aux Conseils, alors qu’on y faisait entrer d’office les deux tiers de ses collègues. Sa carrière semblait être finie.

Elle se rouvrit pourtant, et d’une façon insolemment heureuse. Associé par Barras à d’équivoques spéculations sur les fournitures militaires, puis chargé d’une mission diplomatique en Italie (octobre 1798), il appartint dès lors, pendant dix-sept ans, de près ou de loin, à tous les gouvernemens. En dernier lieu, après la seconde chute de l’Empire, il se glissa avec une