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soleil a brûlé ce mince tapis d’herbe et donné une teinte rousse uniforme à toute la surface de l’Alan, rien n’égale la monotonie et la désolation de cette immense étendue, où pas un arbre, pas un pli de terrain ne vient arrêter le regard et aider le voyageur à constater le progrès de sa marche. Même la campagne ; de Rome, dans ses parties les plus désertes, ne cause point une impression d’accablement aussi poignante[1]. » C’est là un paysage d’été. Pourtant, au printemps, la plaine du Méandre s’égaie d’un peu, de verdure, dans les maigres pâturages où les Yourouks nomades lâchent leurs chevaux. Et même on voit, non loin des pentes du Mycale, une ligne sinueuse de roseaux et de tamaris serpenter dans la plaine : c’est un des anciens lits du Méandre, un de ces Méandres morts dont le cours n’est plus guère marqué que par des eaux croupissantes ; dangereux voisinage, perpétuelle menace de fièvre et d’infection, en dépit de la verdure traîtresse qui pare ces marécages. Au-delà, la plaine allonge sa morne étendue ; tout au loin, elle est fermée par un clair horizon de montagnes, où l’on distingue la masse solide du mont Grion et la fine silhouette triangulaire du Latmos, découpée comme un fronton de temple.

Il ne reste plus aucune trace de la ville antérieure au ive siècle, et l’on chercherait vainement, sur le champ de fouilles, un vestige de l’ancienne histoire de Priène. Seuls, les textes des historiens nous apprennent que la colonie ionienne, fondée vers le XIe ou le Xe siècle, grandit au milieu des luttes soutenues contre ses voisins, les Cariens et les Lydiens ; que Priène eut à subir les invasions des Cimmériens ; qu’au moment de la conquête de l’Ionie par les Perses, vers l’année 544, elle fut saccagée par Mazarès, alors que l’activité de son commerce maritime l’avait rendue assez riche et assez prospère pour qu’un de ses habitans fît à Crésus une forte avance d’argent. Incorporée à l’empire perse, comme les autres cités ioniennes, elle participa à leurs tentatives de révolte, et finit par s’accommoder de la domination des satrapes perses, jusqu’au jour où la conquête de l’Asie Mineure par Alexandre lui rendit son indépendance. Entre temps, les alluvions du Méandre faisaient lentement et sournoisement leur œuvre, gagnant sur la mer, comblant les deux ports où mouillaient jadis les vaisseaux de commerce et les flottes de

  1. O. Rayet, Milet et le golfe Latmique, p. 20.