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Si tu veux compter au nombre des plus purs enfans de la terre, de ces bramines qui s’unissent aux élus dans la lumière, il te faut aimer et t’exercer chaque jour à la pitié. Tout ce qui vit et tout ce qui porte un corps est sacré ; que ce soit là ton immuable devise. Demeure plein de respect devant la sainteté du corps, et de joie devant cette œuvre d’art qu’est la vie. Il te faut replacer avec soin dans la terre les plantes qui ont été arrachées et foulées aux pieds. Si tu trouves sur ta route un être abandonné, prends soin de lui, jusqu’à ce qu’il puisse se suffire à lui-même. Si tu rencontres quelque animal sur ton chemin, élève-le dans tes mains pour le bénir, et porte toujours sur toi de la nourriture, afin de soulager ceux qui languissent et ceux qui ont faim. N’épargne jamais aucune peine pour délivrer les oiseaux et les prisonniers, aucun frais pour rendre à leur mère les jeunes animaux que tu vois exposés sur le marché. Veux-tu compter au nombre des pieux habitans de la terre, plante des arbres sur la montagne (œuvre agréable à Dieu) afin que, des hauteurs verdoyantes, descende vers la vallée un souffle de réconciliation. Si un petit enfant t’est né, plante encore un arbre en retour ; attarde-toi volontiers sous son ombre ; quand il verdira et fleurira, songe avec joie que ton fils est absous. Ne brise et ne romps nulle fleur ; demeure plutôt auprès d’elles, rassasie tes regards de ces charmes virginaux, dont la joyeuse existence s’évanouira sitôt dans le néant. Tiens-toi bien loin de ces meurtriers qui jettent à terre les ombrages sacrés, et qui, méprisant la colère d’en haut, diminuent pour eux et pour leur descendance les puissances réconciliatrices. Tiens-toi bien loin de ceux qui, suivant les maximes aveugles et violentes de la Coutume et du Droit, ne prêtent jamais l’oreille à la voix de la pitié. Et, pourtant, il ne faut pas tout supporter en silence ; il faut témoigner courageusement contre les meurtriers et les écraser sous la grêle serrée des préceptes véritables. Si tu accomplis fidèlement tous ces commandemens, tu pourras poursuivre durant de longues années, dans la joie et dans la santé, le cours de ta vie, et porter la robe verte de la réconciliation. Et, de ce jour, ni tigre, ni panthère, ni serpent ne te blessera ; l’ardeur du soleil de midi et les dévastations de la grêle te seront épargnées. Quand tu serais gisant, amaigri et fiévreux, et que la mort même se dresserait près de ta couche, elle devra se retirer à ton gré, jusqu’à ce que, enfin, affaibli par l’âge, fatigué, las de la terre, tu fasses monter au ciel des oiseaux messagers aux ailes de cygne, qui réclameront pour ta lassitude la paix du tombeau. Et, quand tu auras rendu le dernier soupir, des jeunes gens viendront, dresseront joyeusement un bûcher pour ton corps, et diront, au pétillement des étincelles : « Il s’est maintenant plongé dans la mer de lumière. »


Ne se croirait-on pas transporté dans l’Inde, et dans l’atmosphère panthéiste et semi-bouddhique d’un temple de Bénarès ? Après tout, si l’on est décidé, avec Schopenhauer et ses modernes disciples au-delà du Rhin, à confondre la religion et la mythologie, le dogme et la légende, on ne saurait trouver un ouvrier plus ingénieux de la croyance de l’avenir. Et l’on comprend mieux, quand on a constaté la tendance qui pousse l’âme