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Il y a de la grandeur dans ce symbole : la nature s’est mise pour un temps et se remettra quelque jour à l’unisson de son égoïste et froid monarque humain. Mais voici un ordre de châtimens, qui, à l’antipode des idées scientifiques cette fois, semble un écho des superstitions païennes, demeurées si tenaces chez les populations agricoles et sédentaires de l’Europe. La fête des Morts voit en honneur les rites les plus singuliers dans certains districts de l’Allemagne, car ce jour-là plus encore que les autres, les âmes des trépassés se pressent autour des vivans en quantité innombrable. Wagner nous les montre intervenant sans cesse en nos moindres actions[1].


L’essaim fantomatique ne trahit sa présence par aucun son, et, cependant, bourdonne invisible autour de l’humanité, comme les nuages de moustiques dans le brouillard pluvieux. Ce sont les âmes qui jadis ont pris congé dans la souffrance des vertes demeures de la terre. Trop tôt arrachées de leur corps par la violence, elles sont maintenant envoyées çà et là, messagères, jusqu’à ce que l’huile de leur existence ait cessé de brûler. Parfois, sans te retourner, tu crois entendre un rire moqueur sur tes pas. Le coup de vent qui éteint ta lumière, le pot qui échappe à ta main pour se briser, ces mille riens, ces pièges sans cesse méchamment tendus sous les pas de l’humanité aveugle… sont l’œuvre de ces malins persécuteurs[2].


Voilà qui est puéril, mais la pensée qui résume ces enfantillages est noble et frappante :

  1. I, 35.
  2. Ces idées sont anciennes en Allemagne, si nous en croyons l’ouvrage fort populaire des Révélations écrit par le bon abbé Richalmus, qui florissait en Franconie vers 1270. A l’entendre, l’homme est environné d’autant de démons qu’un nageur plongé dans la mer a de particules d’eau autour de son corps, et ces petits malins interviennent sans cesse dans les circonstances les plus triviales de la vie domestique, surtout de la vie conventuelle. » Lorsque je m’assieds pour faire une lecture spirituelle, écrit-il, les diables font que l’envie de dormir me prend. Alors, j’ai pour coutume de sortir mes mains hors de mes manches, afin qu’elles deviennent froides, et que cette sensation puisse chasser le sommeil : mais ils me piquent aussitôt sous mes habits, à la façon des puces, et attirent ma main à l’endroit piqué : en sorte qu’elle se réchauffe et que ma lecture redevient nonchalante. » Roskoff, Geschichte des Teufels, Wien, 1869.