Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle est verte, et que le vert est saint. Ce qui reverdit est absous, disent les Védas… Et sait-on pourquoi vers l’extrême Nord, aux rives rocheuses des fjords, sur leurs montagnes augustes ne croissent que plus et sapins ? C’est que l’été y est trop court, et que la verdure y doit subsister tout le long de l’année, afin que jamais n’y cesse la réconciliation. » On entend comme un écho de la légende de Tannhauser dans cette idée du pardon végétal ; et le poète l’a reprise sous une autre forme en songeant à l’expiation de la Madeleine, qu’il fait revivre dans une rose[1] : « Quand l’épanouissement de la fleur est accompli, alors, ô pécheresse, ton expiation est terminée. »

Comme l’habitant du pays des fjords, le Promeneur du Dimanche cherche d’ailleurs à retrouver, l’hiver, quelques reflets de cette verdure précieuse dont l’absence attriste son cœur[2]. Quand la verdure réconciliatrice lui a fait trop longtemps défaut, il va fouler avec joie le sol couvert d’aiguilles végétales dans la forêt des pins ; et là, oubliant les frimas, le cœur allégé, il reçoit le riant salut du genévrier et celui des mousses vert sombre qui parent les vieux troncs.

Enfin la mort de la forêt lui inspire un de ses chants les plus grandioses[3] :


Là où la forêt sacrée des chênes est tombée sous la hache, les souches se dressent contre les souches en tronçons mutilés, et les champignons se posent sur chacune d’elles, comme des coupes prêtes à recueillir les larmes de la terre. La rosée et la pluie les rempliront sans retard, et, quand l’orage passe près de là, la malédiction sourde du tonnerre y gronde plus souvent que jadis, tandis que l’éclair sillonne plus fréquemment la nuée. Cependant la mousse modeste et inaperçue accueille avec pitié sur son sein le cadavre du prince des forêts, héros mutilé par la hache, ainsi que, jadis, une vieille femme reçut, dit-on, le dernier soupir d’un Empereur. Des râles d’agonie s’exhalent du branchage, et seul, un homme se glisse, muet, pour écouter la mélodie funèbre de l’averse ou les plaintes des oiselets privés de leurs nids.


Motif cher aux âmes tendres, et qui inspira jadis une belle page à Taine, dans son étude sur La Fontaine, cet ami plus souriant, de la nature. Le chantre souabe a su le renouveler par la profondeur évidente de son émotion.

  1. II, 10.
  2. Présens votifs, p. 37.
  3. III, 24.