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perdirent bientôt, au contact des froides brumes septentrionales, leur enfant adoré ; et, ayant creusé sous l’arbuste la tombe solitaire de leur fils, ils suspendirent aux branchages leurs bijoux les plus éclatans. Or le printemps, ému de leur douleur profonde, rappellera chaque année leur souvenir, en recréant, dans sa toute-puissante fécondité, là même où on les aperçut pour la première fois, les dons gracieux qui honorèrent jadis le petit mort aux cheveux de jais.

Pour faire mieux sentir le charme de ces légendes purement florales, qui sont parmi les plus heureuses créations du paysan-poète de la Souabe, et au risque de paraître insister trop longuement sur ces humbles productions, nous traduirons l’aventure du bluet et du coquelicot. C’est un véritable conte de fées, avec sa rude et naïve morale populaire[1]. Il est bon d’observer d’abord que les deux plantes ont en allemand des noms féminins, ce qui détermine leur sexe dans ce récit, bien qu’elles y portent leur titre scientifique, Cyané, fleur azurée, et Papavé, ou pavot des champs.


Quand le ciel d’été arrondit sa voûte plus haute au-dessus des guérets qui jaunissent pour la récolte, alors je salue des fleurs sans nombre, reflets azurés du firmament de la moisson.

Ne connais-tu pas la fleur bleue de la moisson, le reflet du ciel d’été, cette rayonnante étoile d’azur piquée sur le vêtement uniforme et pâle encore des champs ; l’incarnation d’une prière d’enfant en ces jours de travail créateur, et de dur labeur quotidien ? Mais qui donc ne la connaîtrait et ne l’aimerait ? Je m’avance sur le sentier, à travers les blés ondulans ; çà et là, telles des étincelles de pourpre et d’azur, brillent le bluet et le coquelicot. Ce sont, reproduites à des milliers d’exemplaires, la petite princesse trop gâtée, Papavé, et sa douce suivante en robe bleue, Cyané. Bien plus, les deux pages que le conte ci-après oubliera de mentionner se dressent là sous nos yeux, nobles courtisans qui partagèrent en bons serviteurs le sort des deux damoiselles, les damoiseaux Adonis et Éperon de Chevalier[2]. Et voici même plus loin l’estimable pédagogue Michel Mélampyre[3]. Mais écoutez la légende du bluet et du coquelicot.

La petite fille du roi a voulu respirer un instant au dehors, et contempler les moissonneurs dans les champs. Elle descend donc du château

  1. Sonntagsgaenge, I, 26.
  2. Le nom français de cette dernière plante est Pied-d’alouette. — Entraîné par sa préoccupation ordinaire, le poète ne peut ici s’empêcher de personnifier d’autres plantes qui croissent également dans les blés mûrs, bien que ces acteurs superflus ne jouent aucun rôle dans le récit probablement écrit par lui au préalable.
  3. C’est encore le nom d’une fleur rustique.