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O Wegewarte, qui te dresses près des chemins, des sentiers et des sillons, limites des champs ! Quelle saine intelligence de la nature hésiterait à t’attribuer la plus belle des significations ? Tu attends au bord du sentier que ton amoureux revienne ; et celui-là n’est pas un artisan voyageur, ni un commerçant, ni un soldat. Non, c’est un moissonneur, car cette supposition est la seule possible : un moissonneur, tel que nous les voyons passer par bandes au temps de la récolte, descendus des froids plateaux vers les plaines chaudes et fécondes. Il ne peut être autre, parce que ton apparition coïncide toujours avec ce passage : tant que fleurit la Wegewarte, il est permis d’attendre encore des moissonneurs, quand même ils sembleraient un peu attardés ; et elle ne fleurit jamais d’autre part avant l’époque de la récolte.


Entendez donc la légende de la Wegewarte :


Il prit congé de la douce fille, vêtue de sa belle robe bleue des dimanches. Il partit avec les moissonneurs à travers la forêt, vers les vallées où se dresse le froment mûri.

Écoute : le troisième dimanche qui va venir, quand la moisson sera terminée en bas, oui, ce dimanche-là, ma bien-aimée, attends-moi en ce lieu sur le chemin.

Et je te rapporterai, quoi donc ? Devine ! une bague ou un foulard éclatant, ma douce amie, afin que cet espoir te fasse l’attente moins pénible.

Maintenant, le temps de la récolte est passé, et l’on voit revenir au pays les moissonneurs. En ce dimanche, que ses vœux depuis si longtemps appellent, vous pouvez la contempler tandis qu’elle attend son ami.

Moissonneurs défilent après moissonneurs, et son regard guette toujours celui qui devrait être dans leurs rangs ; des groupes succèdent aux groupes, sans qu’aucun lui montre son cher trésor.

Vers chaque troupe de moissonneurs, cette moissonneuse se précipite, et, malgré la défense de sa mère, elle s’informe de son amoureux.

C’est ainsi qu’elle demeure bien des jours sur le sentier, auprès de la haie d’aubépines, ses bras sans cesse tendus vers le ciel, afin que l’absent l’aperçoive de loin[1].


N’est-ce pas là une interprétation claire et ingénieuse tout à la fois, capable de graver dans la mémoire les particularités de la plante, en y attachant un sens moral délicat ? Lisons cet autre mythe, qui n’est pas moins heureusement imaginé. Les colchiques d’automne portent en allemand le nom de Herbstzeitlosen : le premier membre de ce mot composé signifie temps de l’automne, et le second est un adjectif dont le sens serait rendu par relâché, dissolu, déréglé ; aussi, ce qui frappe le regard du poète en ces plantes vénéneuses, dont l’apparition soudaine sur les prairies d’octobre a quelque chose de mystérieux et de

  1. La brièveté ordinaire du mètre de Wagner et les particularités de la syntaxe allemande interdisent presque toujours une traduction vers par vers.