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s’emparer. Elles avaient leur métaphysique ! Elles auront leur morale, et les préceptes de cette morale ne se formuleront qu’en fonction de la raison d’État. Ecoutons ce docteur : « Il y a une profession de foi purement civile, dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentimens de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois. » On a reconnu les paroles de Rousseau dans son Contrat social. On en retrouvera l’esprit dans le mémorable rapport de Robespierre, daté du 18 floréal an II, sur les Rapports des Idées religieuses et morales avec les principes républicains, et dont la conclusion était la reconnaissance de l’Etre suprême et l’institution de fêtes décadaires en l’honneur de la Haine des tyrans et des prêtres, de la Pudeur, de la Frugalité, du Désintéressement, de l’Industrie, de la Piété filiale, de l’Agriculture, de la Foi conjugale, etc.

C’est dans ce Rapport aussi qu’on trouve la phrase souvent citée : « Les ennemis de la République sont tous les hommes corrompus ; » et sans doute c’est ce que l’on voudrait qu’une Eglise « nationale » enseignât. La vertu se définirait, pour elle, par la pratique du devoir civique, et les noms de péché, de vice, ou de crime ne serviraient plus qu’à en flétrir l’inobservation. Un nouveau Code s’ajouterait aux cinq autres, pour en aggraver les dispositions, que sanctionneraient, lot ou tard, des pénalités analogues. On serait puni d’avoir mal voté ; on le serait de n’avoir pas d’enfans ou de n’en avoir qu’un ; on le serait de n’avoir point « illuminé » au jour de la fête de la Tendresse maternelle ou de l’Age viril. Juge et maître du faux et du vrai, l’État le deviendrait du bien et du mal. Sic volo, sic jubeo. Les théologiens disputent sur la question de savoir si le bien est le bien parce qu’il est la volonté) de Dieu, ou s’il est la volonté de Dieu parce qu’il est le bien. Dans le système d’une Eglise nationale, on résoudrait la difficulté par l’apothéose de l’État. L’État serait tout, puisqu’il pourrait tout, Son inquisition s’étendrait jusqu’aux