Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet égard, quand ils se donnent pour les continuateurs de Louis XIV et de Napoléon, nos hommes politiques n’ont pas tort. Assurément, du haut de la tribune, — ou dans leurs Dominicales, quand ils s’en vont célébrer en province la betterave ou le colza, — si l’occasion s’offre à eux d’outrager la mémoire de l’Empereur ou du Roi, ils la saisissent, avec plus d’empressement qu’il ne serait d’ailleurs utile à leur réélection ; mais ils ne se montrent pas moins jaloux qu’eux du « droit de l’Etat, » quand c’est eux qui l’exercent, et, en effet, dans l’Etat centralisé, l’Eglise est toujours la seule force qui leur échappe encore. On a bien vu des évêques complaisans, et j’ai ouï dire qu’il y en avait toujours de tels. Pourquoi n’y en aurait-il pas ? L’institution canonique n’élève pas les hommes au-dessus de l’humanité. Mais l’Eglise n’en demeure pas moins un pouvoir distinct et séparé de l’Etat, et c’est ce que ne saurait souffrir un ministre vraiment « républicain. » Il a hérité de nos légistes la superstition de l’Etat, et l’Etat, ce n’est pas vous ni moi, c’est lui ! O grande puissance du parlementarisme et du suffrage universel ! De cet avoué de sous-préfecture ou de ce pharmacien de chef-lieu de canton, en en faisant un député, la moitié plus un des électeurs, non pas même inscrits, mais votans, de Pons ou de Saint-Flour, l’a substitué dans tous les droits qui furent un moment ceux du vainqueur d’Austerlitz et du petit-fils d’Henri IV. Toute indépendance l’offusque et toute résistance l’irrite. Et comme il n’ignore pas que, si l’esprit de résistance et d’indépendance était chassé du reste du monde, il trouverait un dernier refuge dans l’Eglise, il ne veut pas précisément anéantir l’Eglise, dont il peut un jour avoir besoin, — pour communier sa fille, ou pour marier son… neveu, — mais il veut la soumettre à l’Etat, et c’est ce qu’il appelle une « Eglise, » ou comme disent les Anglais « un établissement national. » Est-ce vraiment pour cela que nos pères ont fait la « grande Révolution ? »

Représentons-nous, en effet, ce que serait une telle Eglise ? Quand on aura bientôt achevé d’étrangler dans notre pays la liberté de l’enseignement, — et naïfs seraient ceux qui ne voudraient pas voir que l’échéance en est prochaine, — le Conseil supérieur de l’Instruction publique, pour satisfaire au vœu des familles, formulera le programme d’une « philosophie d’Etat ; » et un nouveau Cousin, qui s’appellera Buisson ou Darlu, se chargera d’en enguirlander, des fleurs de son éloquence, le