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comme les bourgeois, dans nos momens perdus ? — Par un phénomène bizarre, on ne chasse la caille et le lièvre à Montceau qu’avec des fusils à balle ; mais n’a-t-on pas le droit de chasser avec des fusils et des cartouches à balle ? Telles sont les questions qu’on a posées et agitées avec une merveilleuse subtilité. Lorsqu’un gouvernement en est là, autant dire qu’il n’y a pas de gouvernement du tout. Nous revenons à l’état de nature, à l’anarchie primitive, avec cette circonstance aggravante qu’à l’époque préhistorique, s’il n’y avait pas encore de gouvernement établi, il n’y avait pas non plus de fusils à la portée de tout le monde. Il y en a aujourd’hui : le gouvernement a su que les ouvriers s’en munissaient, et pendant longtemps il n’a rien fait pour les en empêcher. Si le danger n’était pas précisément dans la grève générale, il était certainement là, et l’exaltation des esprits le rendait très sérieux.

À la veille même de la réunion des Chambres, M. le président du Conseil a écrit à M. Cotte, secrétaire général de la Fédération nationale des mineurs de France, une lettre qui a été livrée aussitôt à la publicité et dans laquelle il lui faisait connaître son opinion sur le salaire minimum, la journée de huit heures et la retraite après vingt-cinq ans de travail. Quelques jours après, M. Basly reprenait les trois points devant la Chambre, et demandait à celle-ci de les discuter immédiatement. La grève générale était à la porte ; il n’y avait pas une minute à perdre. M. Waldeck-Rousseau a répété à M. Basly ce qu’il avait écrit à M. Cotte, et il a demandé à la Chambre de renvoyer la motion à la commission du travail, c’est-à-dire d’en écarter la discussion immédiate. Il affirmait d’ailleurs que personne n’était prêt pour cette discussion, ni le gouvernement, ni la commission, ni même M. Basly. Le gouvernement n’était pas prêt : de là sans doute ce qu’il y avait d’indécis et de flottant dans la réponse de M. Waldeck-Rousseau à MM. Cotte et Basly.

On a beaucoup répété que cette réponse était très précise, parce qu’elle était de forme un peu sèche et d’un ton assez raide. En réalité, M. le président du Conseil n’a repoussé que le premier point, à savoir la fixation d’un minimum de salaires. Encore n’a-t-il pas dit qu’il était impossible de fixer d’une manière absolue et ne varietur un minimum de ce genre ; il a seulement soutenu que c’était là l’œuvre des ouvriers eux-mêmes et des patrons. La loi de 1884 leur a donné la faculté d’avoir des syndicats, et ils en ont en effet ; qu’ils s’en servent. Les questions de salaires doivent être librement débattues et résolues par leur intermédiaire. Sur ce point, nous sommes tout à fait d’accord avec