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incorruptible, les mains nettes de tous tripotages, il n’est ni de ceux qui pactisent avec les grévistes, ni de ceux qui font surgir au moment utile des grèves opportunes. Il compte que sa réputation d’intégrité suffira pour lui gagner encore une fois les suffrages de ses concitoyens. Arrive le jour des élections : sa liste est en ballottage. Le dépit qu’il en éprouve va être pour cette âme désormais atteinte le premier ferment de décomposition. Peu à peu, harcelé par les siens, gagné par la fièvre de la bataille, affolé par la possibilité d’un échec définitif, Ferrier se résoudra à toutes les manœuvres auxquelles nous l’avons vu tout à l’heure répugner si fort. Finalement élu, il sera à la mairie de Salente le protégé des cléricaux, l’allié des réactionnaires, le prisonnier des compagnies financières.

Ce système de pièces par tableaux a bien des inconvéniens. Il exclut toute composition serrée. Le choix des scènes y est déterminé par la fantaisie de l’auteur plus que par une très étroite logique. On en aperçoit plus d’une qui aurait pu être supprimée. Chacune vaut surtout par elle-même. Mais ici quelques-unes sont en effet supérieurement traitées : elles se détachent et restent dans le souvenir. Celle, par exemple, qui occupe presque tout le troisième acte et qui est la partie maîtresse de l’ouvrage. Il s’agit d’établir une liste d’entente. Autour de la même table sont réunis tous ces alliés dont la logique et la morale devraient si bien faire des adversaires : le radical Ferrier, le jésuite de robe courte Bouchonnet, Mgr de Bellemont. vicaire général, le banquier israélite Lévy, Mme Errazura, présidente, de puissantes œuvres de charité, M. de Riols, d’autres encore. Le bariolage de la liste électorale est ainsi traduit de façon vraiment scénique. On rencontre au cours de la pièce beaucoup de traits d’observation juste, plusieurs silhouettes indiquées d’un trait sûr, nombre de mots qui passent la rampe. L’auteur n’a eu qu’à, puiser dans les mille et un scandales de notre vie publique ; la matière était riche et s’offrait d’elle-même ; mais c’est aussi bien le rôle du moraliste de théâtre que de profiter des spectacles de la vie réelle : il rend à la société ce qu’elle lui a prêté.

Ce qui manque à cette comédie, c’est un certain degré de concentration et aussi de vigueur et d’âpreté. Elle est en surface, plutôt qu’en profondeur. M. Fabre, qui sait montrer les effets, ne laisse pas entrevoir les causes : l’affaiblissement des caractères, la ruine des grandes ambitions et des grandes espérances, le scepticisme et l’égoïsme substituant à la défense des principes, la rivalité des personnes. En écoulant sa pièce, on rêve d’une autre qui serait plus forte. L’étude du