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vinrent mourir de fatigue à Trieste. Louis XVIII fit rapporter les dépouilles de ses tantes en 1814 : elles arrivèrent à Toulon comme Napoléon débarquait au golfe Jouan. Ces revenantes durent encore patienter cent jours dans un hangar, avant de rejoindre leurs sœurs à Saint-Denis ; toujours encombrantes, toujours inopportunes ; non pas inutiles, cependant, puisque nous leur devons les délicieux chefs-d’œuvre de Nattier.

Ce fut ici, à un bal de masques donné le 7 février 1745 chez Madame Adélaïde, que le roi vit pour la première fois Mme d’Etiolés. La marquise de Ponipadour n’ayant point logé de ce côté, on n’y a mis en souvenir de sa fructueuse apparition qu’un petit portrait d’elle, à mi-corps, sorti de l’atelier de Boucher. La débutante y est presque modeste, retraitée dans un angle, près de son frère, l’avantageux Marigny. Le prédécesseur de Marigny à la direction générale des bâtimens, Tournehem, regarde tristement ses liasses de comptes. Plaignons-le ; Tocqué a daté ce tableau de 1750 ; c’est l’année où le directeur général se lamentait de n’avoir plus un denier vaillant pour payer les doreurs.

Le siècle marche, mûrit, pourrit. Nous apercevons chemin faisant quelques-uns des hommes qui mènent ses affaires : entre autres les deux. Choiseul, Stainville et Praslin. A eux deux, sur ce panneau où ils se font pendant, les Choiseul personnifient leur époque. Lequel va dire : « Après nous le déluge ? » Ils le diraient de façon différente : Stainville, plus sémillant, avec son joli sourire, son petit nez à la Roxelane qui flaire le vent, son regard enjôleur qui parcourt légèrement les papiers d’Etat entassés sur le bureau où il écrit ; Praslin, avec un geste de grâce altière, une fatigue distraite de grand seigneur blasé. Les Choiseul, Vergennes, La Vrillière, tous ces visages suggèrent les mêmes mots : élégance, légèreté, esprit. Spirituels, ils le sont tous, et ne sont que cela.

Mais hâtons-nous vers le Louis XV de Drouais. Entre toutes, cette toile retient la songerie : elle nous en apprend plus que de gros volumes d’histoire. C’est un portrait sans apparat : habit rouge, cordon bleu, la mise et l’air de l’intimité ; 1773, l’année d’avant la mort. Le gracieux enfant que Rigaud nous présentait tout à l’heure a passé soixante ans. Rien d’un vieillard, sur les traits toujours aimables de Louis le Bien-Aimé ; rien, sinon l’âme avouée par le regard, et qui n’a plus d’âge. Elle