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doute, — nos 47 millimètres, à la vérité, auraient pu le manquer ou ne lui faire que de légères blessures, — il nous décoche sa torpille, à peine à 100 ou 120 mètres. Eh bien ! on a beau l’avoir vu souvent, on est toujours impressionné quand on regarde le terrible engin qui court sur vous sans que rien ni personne ne puisse plus l’arrêter… Et nous le voyons admirablement dans l’eau calme, éclairée, pénétrée par la lueur diffuse qui s’échappe de notre faisceau lumineux… Il arrive, il nous touche… un coup sourd ! Il a choqué obliquement la ceinture cuirassée, un peu trop haut ; il glisse le long de notre muraille et, continuant sa route après une sorte d’hésitation, il fait un grand cercle qui va le ramener sur nous. Évidemment, le cône de choc étant écrasé d’un seul côté et, par suite, la symétrie des résistances rompue, la gyration va continuer tant que la machine n’aura pas stoppé, tant que le parcours normal ne sera pas achevé… En effet, la voilà encore, cette torpille enragée ! Elle revient exactement au même point ! Elle nous touche ; mais plus faible, cette fois, plus lente, elle nous effleure à peine, glisse, s’arrête et, délestée, revient à la surface. La baleinière 2, mise à l’eau, s’en empare, frappe un bout de filin sur la queue et la remorque, docile, à bord du torpilleur.

Celui-ci, stoppé à quelque cent mètres du Fontenoy, a suivi comme nous avec curiosité les évolutions, capricieuses et réglées à la fois, de sa torpille. Il la recueille des mains de nos baleiniers, lui passe une sangle sous le ventre, la hisse à bord et s’éloigne dans le noir sans plus de cérémonie.

Encore quelques coups de canon çà et là, quelques éclairs rapides de projecteurs, quelques formes fuyantes entrevues au loin… Il est 9 h. 30 : deux fusées vertes éclatent. C’est la fin de l’attaque, au moment même où la lune émerge d’un lourd rideau de nuages à bords frangés et luisans.

Demain, départ pour Cherbourg, et de là, après ravitaillement, à Dunkerque.


4 septembre. — À la mer.

Je me suis arrêté, pensif, en effeuillant l’agenda du carré… 4 septembre ! — Et tout de suite sont accourus d’émouvans souvenirs d’enfance… Une vaste place, irrégulière, à vieilles maisons laides, brûlées parle soleil ; une église bien plus vieille et grandiose, mais inachevée, bizarre, qui découpe sur le bleu