appartient à la stratégie politique, à la très intéressante et très importante stratégie politique. C’est fort bien pensé. Prenons garde seulement que l’adversaire futur est très perspicace, très renseigné, peu embarrassé de scrupules, fort riche et fort habile à se servir de son argent. Rappelons-nous que, par violences ou par caresses, tantôt en invoquant les principes les plus élevés, tantôt en satisfaisant les intérêts les plus bas, il sut presque toujours convertir contre nous, en hostilité déclarée, les neutralités les plus bienveillantes.
— Sans doute… mais que faire à cela ?
— Lutter avec les mêmes armes tant qu’il sera possible à notre caractère et à nos ressources ; mais surtout multiplier les cordes de notre arc. On n’imagine pas le bien que peut faire un pauvre pêcheur rencontre « par hasard, » ses filets en mains, à quelque cent milles d’un point intéressant ; ou bien encore un simple brick à voiles qui va tranquillement, doucement, mais qui porte un passager dont la bourse est bien garnie et qui sait beaucoup de choses. Le 15 août 1805, à quatre-vingts lieues du cap Finistère, alors qu’il hésitait déjà à faire route vers la Manche, Villeneuve le rencontra, ce brick à voiles. Interrogé par nos frégates, ce neutre bienveillant déclara qu’à peu de distance, au nord, s’avançait une escadre anglaise de 25 vaisseaux, commandée par Nelson. Villeneuve laissa porter incontinent et mit le cap sur Cadix, d’où il ne devait plus sortir que pour Trafalgar. Voilà donc un brick qui peut-être a sauvé l’Angleterre, car, vous le savez, rien n’était plus faux que son l’enseignement, ni d’ailleurs mieux combiné pour produire l’effet voulu…
Et nous continuons comme cela un bon bout de temps encore, si bien que vient l’heure du dîner et que l’ami R… reste avec nous, au carré. Mais là, ma foi ! plus question de stratégie ni de tactique !…
22 août. — Grand tra-la-la, plus grand même que nous ne le pensions, car l’amiral nous a demandé beaucoup de choses assez nouvelles pour notre nouvel équipage. Enfin nous nous en sommes tirés tout de même. Adieux du chef, pour clore la cérémonie. Emotion sincère… Dans cette marine, on passe son temps à se quitter. A peine s’est-on vu, à peine se connaît-on… crac ! c’est fini. A un autre !…