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déclin d’Euripide. Aussi bien n’y a-t-il qu’un point de perfection dans l’art, comme il n’y en a qu’un de maturité dans la nature, et on n’a plus tôt achevé l’ascension d’un sommet qu’il en faut déjà redescendre. Encore cette perfection n’est-elle pas toujours égale à elle-même, et non seulement il y a une « évolution » du génie de Corneille, que nous avons essayé de retracer ailleurs, comme il y a une évolution du génie de Racine, mais, de 1636 à 1677, — c’est-à-dire du Cid à Phèdre, — il y a une histoire intérieure, une histoire « successive, » une lente transformation de la tragédie française ; et peut-être est-il plus utile d’essayer de la caractériser que de recommencer une fois de plus le parallèle de Racine et de Corneille.

Considérons donc et, si nous le pouvons, remettons-nous ensemble sous les yeux cinq dates et cinq pièces qui marquent à notre avis les phases principales de cette évolution : ce sont le Cid (1636) ; Polyeucte (1641) ; Rodogune (1645) ; Andromaque (1667) ; et Phèdre (1677). Libre d’ailleurs à chacun de préférer Rodogune ou d’aimer mieux Andromaque ! Nous ne donnons point ici de rangs, ni ne prétendons exprimer d’opinion personnelle ; nous tâchons seulement de nous rendre compte en quoi, comment, par lesquels de leurs caractères, ces chefs-d’œuvre se distinguent entre eux ; et de quel « mouvement » de leur genre ils peuvent ainsi nous servir de témoins.

Par le choix du sujet, qui est, selon l’expression du poète lui-même, « hors de l’ordre commun ; » par la place qu’y tiennent encore les circonstances extérieures, telles que l’arrivée des Maures ; par la manière dont l’amour s’y exprime, avec la casuistique disputeuse, raisonneuse, et précieuse de son temps, plus oratoire que psychologique ; et par la part enfin qu’il semble bien que Corneille lui-même prenne à la fortune de ses personnages, le Cid relève encore de la poétique de la tragi-comédie.

Polyeucte, en dépit de la condition particulière et. privée des personnages, est déjà plus voisin de la pure tragédie ; il y toucherait même, si le rôle de Sévère, — ou plutôt la manière assez gauche dont Sévère se trouve mêlé tout à fait arbitrairement à l’intrigue, — ne s’écartait un peu de ce « nécessaire » qui, cependant, d’après Corneille, doit différencier le « dramatique » d’avec le « romanesque. »

Mais Rodogune, qui est celle de ses œuvres que le poète mettait au-dessus de toutes les autres, pour des raisons qu’il a