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Lisbonne ou à Coimbre, on n’habite pas en plein air[1] ! Mais nous n’avons après cela qu’à tourner quelques pages et nous lisons ces mots : « Le XVIe siècle fut sceptique, et c’est pour cette raison qu’il n’eut point de tragédies, la passion étant l’âme de la tragédie. La Sophonisbe, la Rosemonde, l’Orbecche, la Canace ne sont que des exercices de collège. Et, depuis le XVIe siècle nous n’en avons pas eu davantage… jusqu’à l’apparition d’Alfieri, notre grand tragique. » (Settembrini, t. II, p. 122.) C’est précisément ce que nous voulons dire quand nous disons qu’il n’y a pas plus de « tragédie italienne » que de « tragédie latine, » rien de plus, ni de moins. Laissons donc de côté ces « milliers de drames, » dont il n’y en a presque pas un, je ne dis pas qui ait franchi les frontières de son pays d’origine pour devenir vraiment européen, mais qu’admirent sincèrement les critiques italiens eux-mêmes. L’influence italienne au XVIe siècle s’est exercée en littérature par des humanistes, par des poètes comiques et satiriques, par des Novellieri surtout. Mais la Sophonisbe de Trissino est peut-être la seule tragédie dont on puisse ressaisir l’action sur une littérature étrangère. Et, à vrai dire, il n’y a de comparable à l’évolution de la tragédie grecque que celle de notre tragédie française.


III

On peut la diviser en trois époques, dont la première s’étend des origines, que l’on date généralement de la Cléopâtre de Jodelle (1552), jusqu’à l’apparition du Cid, en 1636 ou 1637 ; — la seconde, qui va du Cid jusqu’à la Phèdre de Racine (1677) ; — et la troisième, qui s’étend de la Phèdre de Racine jusqu’au triomphe du drame romantique, entre les années 1827 et 1830. On essaiera ici de montrer à la fois le lien qui relie ces trois époques l’une à l’autre, et les différences qui les distinguent. Les différences et le lien consistent en ceci qu’après s’être constituée, dans sa seconde époque, par l’élimination successive de tous les élémens qui l’avaient, dans la première, empêchée d’atteindre sa vraie nature, — τῆν αὐτῆς φύσιν (tên autês phusin), — la tragédie française, dans la troisième, voit commencer, s’accélérer, et s’achever son déclin par la réintroduction successive de tout ce qu’elle avait éliminé.

  1. Je ne nie pas qu’il y ait des « sculpteurs » américains et des « architectes » portugais.